EMERITES.LORRAINE

Ce site de l'association emerites.lorraine vous raconte plus de 10 ans d'activités, de rencontres et de publications. Et vous informe des projets à venir.

- Les émérites aiment lire -


Titre : Astérix et la Transitalique
Auteurs : Auteurs : René GOSCINNY et Albert UDERZO
Texte de Jean-Yves FERRY ; dessins de Didier CONRAD ; coloriste : Thierry MEBARKI
Bande dessinée n° 37
Éditeur : Albert RENÉ (2017) 48 pp. Lecteur : François MATH
Lecteur : François MATH


En triant mes bouquins dans mon fourre-tout, j'ai retrouvé "Astérix et la Transitalique". J'ai la collection complète des Astérix depuis leur création et celui là m'avait été offert en 2017, pour mon anniversaire, et je ne l'avais pas lu. J'aime l'humour sous entendu de ces livres. Je ne résiste pas à vous faire connaître ce livre "imaginé" par les successeurs de Goscinny. Je dis imaginé mais en fait en 2013 puis en 2017 on parlait déjà du SRAS et d'un coronavirus...
     L'histoire en bref : Astérix et Obélix participent à une course de chars a travers l'Italie. Un des concurrents les plus sérieux pour les Gaulois est un romain du nom de Coronavirus accompagné d'un soldat romain du nom de Bacillus. Prémonitoire ? Le dit Coronavirus est masqué... Il mène la course jusque Naples et là, Astérix découvre que la course de Coronavirus est truquée : Coronavirus change de chevaux à chaque étape. Le tricheur avoue aussi que le sénateur Bifidus est complice de son méfait, en sabotant les chars des concurrents et en changeant les panneaux du parcours. Il est piloté par l'empereur du moment qui a payé des sbires, Zerogluten et Betacarotène. On se croirait aujourd'hui avec les courses aux vaccins...
     Si l'on songe qu'Uderzo est mort du coronavirus (CoVid19, à l'hopital d'Evreux, en mars 2020, donc au tout début de la pandémie de coronavirus) on peut s'interroger sur les immenses capacités prémonitoires un peu sombres de cet humoriste.
     Mais Pourquoi Uderzo et les remplaçants de Goscinny ont-ils parlé de coronavirus ? Parce qu'en 2016 le coronavirus frappe sévèrement le moyen orient. Selon le Ministre de l'Agriculture français qui a étudié la question, la source du virus est à trouver chez... les dromadaires ! En avril 2016, les autorités lancent une alerte préventive, gestes barrières, contrôles aux frontières... mais avez vous vu ou entendu quoique ce soit ? En juin 2016, je suis allé au Maroc, je suis monté sur des dromadaires à Ouarzazate et je n'ai rien attrapé. Donc on peut supposer que le virus n'a pas résisté à la chaleur de l'été saharien, ou les marocains qui ont un laboratoire sponsorisé par Pfizer et un par Sinopharm ont fait une campagne vaccinale efficace.


 
Titre : La Forteresse de Gurkor 
Auteurs : Arthur DUVOID, Julien DUVOID, Jacqueline TRINCAZ
Éditeur : L’Harmattan Jeunesse (2019)
Lecteur : Marc-Mathieu MÜNCH


Les retraités de l’université de Lorraine, qui ont la chance d’avoir des petits enfants ou qui ont gardé la fraîcheur de leur âme juvénile, liront et feront lire avec émerveillement un roman du genre "heroic fantasy" pensé, conçu et écrit à six mains.
    Notre collègue, Jacqueline TRINCAZ, professeure émérite en sociologie à l’université Paris-Est Créteil et anthropologue africaniste au début de sa carrière, avait l’habitude de se promener chaque semaine en forêt avec ses deux petits fils Arthur et Julien DUVOID et cela depuis leur jeune âge.
    Au début, dans le cadre propice de la forêt mystérieuse, elle leur racontait des légendes, des contes et des mythes d’Afrique et du monde entier. Ils ont ensuite demandé des histoires plus modernes avec, par exemple, des extra-terrestres et des robots. Pour finir leur est venu le désir d’écrire eux-mêmes avec leur grand-mère une grande, une longue histoire merveilleuse.
    Le bon rythme fut rapidement trouvé. A chaque promenade on imaginait en commun un nouvel épisode qui était ensuite noté le soir même. Le résultat est l’histoire extraordinaire de deux princesses jumelles de treize ans, choisies par le destin pour sauver les différents peuples du Nomane Sland dominé par le pire des dictateurs dont le nom seul m’a fait frémir comme un crachat remonté de l’enfer : Gurkor.
    En effet, longtemps avant la naissance des jumelles, qui répondaient aux prénoms mélodieux de Floriane et de Kaïna, cet affreux Gurkor avait volé le sceptre de paix garantissant le bonheur édénique, éternel des peuples du Nomane Sland et leur avait imposé, ivre de pouvoir, la maladie, la mort, la mésentente, la guerre et l’esclavage.
    Or comme le sceptre de paix avait été volé au peuple des Nymelphes qui en était alors le dépositaire et comme nos deux princesses humaines avaient une ancêtre nymelphe, c’est à elles que revint la mission de reprendre le sceptre et de libérer les peuples opprimés.
    Tout le roman est construit sur cette donnée qui reprend le thème de la lutte du Bien contre le Mal. Le lecteur a donc le plaisir de se laisser entraîner par le suspense qui va aboutir, bien sûr, à la victoire finale sur Gurkor, mais à travers d’innombrables péripéties qui font qu’à chaque instant on prend peur pour les jeunes héroïnes. C’est un festival de surprises, de retournements, voire d’interventions magiques. Au dernier moment, quand la victoire sur Gurkor semble acquise, une ultime péripétie lui permet d’utiliser un passage secret creusé sous son trône, de se réfugier dans son "Repaire du Rapace", de profiter de la folie du pouvoir de ses lieutenants qui s’entretuent et s’arrachent mutuellement le sceptre passant ainsi de main de traître en main de traître… avant de trouver enfin les mains pures qui le font remonter jusqu'à nos deux princesses.
    Le suspense de la lutte du Bien contre le Mal n’est pas le seul intérêt de La Forteresse de Gurkor. Il y règne, quoique discrètement, une atmosphère de protection surnaturelle. Nos deux jeunes princesses ne vont pas à la guerre avec les seules provisions de bouche qu’on a mises dans leurs sacs. Elles ont aussi un médaillon protecteur, un livre très ancien qui les renseigne sur le Nomane Sland et une pierre fée qui leur permet de retourner instantanément dans un lieu dont elles prononcent le nom. Elles tombent souvent, comme par hasard, sur la nourriture, l’élixir ou l’onguent dont elles ont justement besoin. Et elles rencontrent heureusement les guerriers qui vont combattre avec elles contre la terrible armée de Gurkor. A côtoyer ces éléments fantastiques et à ressentir l’émotion qu’ils provoquent en marge des éléments factuels du récit, on découvre combien le monde moderne manque de sacré et d’absolu. On comprend aussi les raisons du grand succès actuel de la "heroic fantasy".
    Oui, nous manquons d’idéal car ce ne sont ni le consumérisme trompeur, ni la démesure technologique qui nous rassurent. Or cette démesure est présente dans La Forteresse de Gurkor. Elle l’est par exemple dans le rêve de Gurkor de faire fabriquer à partir des 152 humains capturés par ses soldats des hommes parfaits capables de séduire les belles Nymelphes éternellement jeunes. C’est qu’il cache au fond du cœur la cruelle déception, lui, le maître du Nomane Sland, de n’avoir pas su se faire aimer. Une autre démesure concerne évidemment les armes, les nouveaux métaux, les techniques de destruction et les formules chimiques d’une arme absolue que les lecteurs s’amuseront à découvrir.
    En attirant plus haut l’attention sur le mouvement du sceptre passant de main de traître en main de traître puis remontant de main pure en main pure, j’ai fait allusion à l’un des nombreux choix formels réussis du roman. En fait, c’est toute l’intrigue qui est construite de main de maître. Comme les péripéties inventées sont très nombreuses et s’imbriquent de manière complexe, comme elles concernent la longue marche jusqu'à la forteresse, comme elles permettent la rencontre de peuplades et même d’espèces différentes sans compter les batailles, les prisonniers, l’esclavage et la vengeance, ce roman avait besoin d’une architecture lumineuse. Le lecteur spontané en profitera sans s’en rendre compte, mais celui qui s’intéresse à la forme des œuvres d’art en appréciera la virtuosité. Elle est faite de séquences successives et imbriquées construisant peu à peu tout un monde magiquement cohérent. On appréciera peut-être surtout l’art avec lequel les gros plans rares mais régulièrement focalisés sur les colères de Gurkor intensifient le dégoût qu’il provoque et renouvellent l’intérêt dramatique. On admirera de même la manière habile dont le foisonnement de l’histoire est régulièrement recentré autour de passages qui situent clairement l’enjeu de ce qui est en cours et de ce qui reste à accomplir.
    Mais le coup de génie de ce roman se trouve peut-être dans les symboles. Les sciences humaines ont bien montré l’importance des symboles pour l’équilibre des sociétés. Les jeunes comme les adultes en trouveront dans ce roman. Je ne veux pas ici en révéler le grand nombre. Mais le plus génial concerne sans doute celui du papillon. Voici comment. Nos deux princesses, qui sont humaines par leur père, mais nymelphes par leur mère, la reine Ysa, portent sur l’épaule un dessin "couleur du ciel au soleil levant et semblable à des ailes de papillon". On le retrouve dans la prophétie annonçant les destin des jumelles. On le retrouve aussi dans l’énigme qu’elles doivent résoudre au début de leur parcours. Et puis… et puis… constitué physiquement de cinq pierres précieuses, il est non pas caché, non pas présent mais manquant à la base de la muraille protégeant la forteresse de Gurkor. Pourquoi manquant ? D'abord sans doute parce que la quête difficile de ces cinq morceaux dynamise l’intrigue et fait penser à d’autres quêtes célèbres, mais aussi parce que le moment où, enfin reconstitué, il sera replacé à la base de la muraille entraînera sa destruction, comme si le symbole du Bien, du Vrai et du Beau ne pouvait que détruire le le Mal.
    En somme, sous le couvert d’une "heroic fantasy" à la mode parmi la jeunesse, ce roman à six mains nous peint le tableau moderne mais éternel de la diversité des caractères, du foisonnement des cultures et de l’unité de la condition humaine. L’art même y est présent puisque les Myrlithons sont des artistes dont les sculptures "semblent s’animer" !


Titre : La dernière marche
Auteur : Chantal DIDIER
Éditeur : Alisio Témoignages et Documents (2020) 256 pp.
Lecteur : Gérard BECK


Comme on le sait, Président de la République est en France sous la Cinquième République la magistrature suprême. Mais pour l’obtenir il faut le vouloir fort, longtemps, de façon quasi obsessionnelle et avoir une énergie hors normes. La dernière étape, la dernière marche, est la plus difficile à franchir sur le plan psychanalytique. Il y a ceux dont l’inconscient n’entrave pas le franchissement : Mitterrand, Giscard, Sarkozy, Macron. Ceux qui trébuchent du fait de leur inconscient : Séguin, Fillon, Strauss-Kahn et ceux qui croient le vouloir mais au fond n’en veulent pas : Le Pen, Rocard, Delors.
    Cet ouvrage offre un panorama passionnant des dernières décennies du sommet de la classe politique française, toutes opinions confondues. Il se lit comme un roman d’aventures. Mais il retrace de façon claire et rigoureuse les manœuvres au sein de la classe politique dans son ensemble. Beaucoup d’énergie est dépensée et cela suscite des rancœurs inextinguibles. Balzac aurait sûrement aimé écrire un tel livre !
    Chantal Didier, qui fut longtemps éditorialiste à l’Est Républicain et Présidente de l’Association des journalistes de la presse quotidienne de province, a très bien connu ce milieu. Après de nombreux entretiens avec les impétrants, elle en raconte les exploits avec finesse, rigueur et humour en un style très littéraire comme on le rencontre rarement dans la presse politique.


Titre : Les Russes
Auteur : Hedrick SMITH
Éditeur : France Loisirs (1976)

Lecteur : Jean-Claude GACHON

Ce vieux livre, découvert par hasard, rassemble les observations que l’auteur, chef du bureau du New York Times à Moscou de 1971 à 1973, a rassemblées. A cette époque le régime communiste était bien en place et pour un américain et sa famille le changement d’ambiance de vie entre New York et Moscou était notable. Durant ses trois ans de séjour, l’auteur s’est attaché à noter ses impressions professionnelles et privées et à décrire les péripéties rencontrées lors de ses enquêtes. Il dépeint un paysage contrasté, dans lequel la rigidité doctrinale du régime politique est compensée, voire tournée par une population (au moins une fraction de celle-ci) voulant s’affranchir de règles trop strictes. Par exemple, la technique utilisée pour pouvoir décrocher un permis de résidence à Moscou en l’absence d’un motif « légitime » pour les autorités, consistait pour un couple marié à divorcer, puis chacun des deux nouveaux célibataires contractait un mariage blanc avec un moscovite complice afin d’obtenir le fameux permis de résidence au titre du rapprochement de conjoints. Il y avait ensuite deux nouveaux divorces et enfin un dernier(?) mariage. C’était long et compliqué mais cela marchait. D’un point de vue pratique, ce permis de résidence conditionnel avait un effet non négligeable : un collègue russe me disait un jour qu’au temps du communisme il allait de chez lui à son laboratoire en bus en un quart d’heure, alors que vers l999, le même trajet avec le même bus lui prenait une heure.
    L’auteur parle de ses échanges avec les dissidents célèbres, Sakharov et Soljenitsyne entre autres. Il montre les différences énormes entre les conceptions politiques et les styles des deux hommes qui s’opposaient tous les deux au régime mais avec des idées totalement différentes.
Il décrit aussi les problèmes que ses jeunes enfants rencontraient à Moscou pour avoir un minimum de vie sociale avec les autres élèves de l’école qu’ils fréquentaient. Pour un enfant russe, vouloir venir visiter un enfant américain résidant chez ses parents dans un immeuble réservé aux étrangers était un projet périlleux et inutile : les miliciens "protégeant" l’immeuble arrêtaient "l’assaillant".
    De nombreuses anecdotes révèlent une forme d’esprit de la population russe de l’époque que l’on pourrait qualifier de paranoïaque : un jour l’auteur ravitaillait sa voiture en carburant dans une station-service et, surpris par le désordre dans lequel les automobilistes russes effectuaient leurs manœuvres, se mit à prendre des photos. Le responsable de la station surgit alors pour interdire la prise de photos et menaça de prévenir la police. L’auteur continua et ne fut pas inquiété. Le responsable acariâtre aurait-il supporté les selfies ?
    Ce livre est très intéressant même si la forme est touffue. Il s’agit d’un assemblage d’anecdotes, de faits, d’observations qui se complètent mais qui foisonnent. Une rédaction plus synthétique aurait sans doute rendu le livre plus léger à lire, mais l’aurait aussi rendu plus sévère. L’auteur fait œuvre de journaliste et non d’historien mais le témoignage est digne d’intérêt.

Livre intéressant mais daté, cependant précieux pour l’histoire du XXème siècle
Titre : Rettret den Wald (Sauvez la forêt)
Auteurs : Ouvrage collectif par six spécialistes de la forêt sous la direction de Horst STERN
Éditeur : Kindler (1979) ; difficile à dénicher
Lecteur : Jean-Claude GACHON

Un vieux bouquin en allemand, déniché à la foire aux occasions de Claudon (Vosges). Malgré ses quatre décennies, il reste, hélas, parfaitement d’actualité. Il envisage tous les aspects, depuis l’arbre pris individuellement jusqu’à la forêt en tant qu’entité et ensuite tous les rapports entre cette forêt et ses occupants des différents règnes ainsi que ses interactions avec tout ce qui l’entoure. Il apparaît clairement que des forêts saines sont absolument indispensables à la vie sur Terre, ce que nous savons tous, mais ce point, pour des raisons de rentabilité à court terme, est totalement négligé aussi bien par la plupart des propriétaires privés que par les organismes officiels gestionnaires des biens publics.
    Les bilans financiers présentés montrent que le meilleur moyen de faire rentrer de l’argent dans les caisses est de planter des résineux à pousse rapide, puis de les couper lorsqu'ils ont atteint la taille optimale pour l’exploitation, quels que puissent être la natures des arbres naturellement présents dans la région depuis des millénaires (sans doute les mieux adaptés?) et l’effet d’une coupe rase sur le sol et la faune. Ceci se voit encore de nos jours et un exemple très spectaculaire mais de loin non unique est celui de l’Écosse où des champs d’arbres, (je me refuse à les appeler forêts), sont plantés d’une seule espèce de résineux, tous du même age, à la distance optimisée pour que le rendement en bois à l’hectare soit maximal et ensuite moissonnés en quelques jours avec des machines efficaces aussi bien pour la récolte que pour le broyage du sol superficiel et la pollution de l’atmosphère. Vive l’érosion, le ravinement et les glissements de terrains !
    En plus de ces considérations générales, de nombreuses analyses de phénomènes précis sont produites et bousculent parfois des idées reçues. Une d’elles est très à la mode actuellement qui prétend qu’une forêt laissée à elle même est un puits de dioxyde de carbone, ce qui es faux ! Une forêt laissée à elle même est un stock immobilisé de CO2 mais pas un puits car il y a du bois nouveau qui se forme ( CO2 piégé) mais aussi du bois mort qui se décompose ( CO2 libéré) et le bilan est globalement neutre. Pour passer du stock au puits, il faut exploiter le bois pour en faire des objets ou constructions durables et créer ainsi de la place afin que de nouveaux arbres puissent se développer. Il va sans dire que l’exploitation du bois ne doit pas être polluante, rêvons !
   Pour les amateurs de lecture en langue allemande, c’est un très bon exercice, les auteurs utilisent un vocabulaire d’un niveau de technicité et d’érudition qui bouscule un peu les neurones et dépasse souvent les dictionnaires usuels, même ceux du web.



Titre : L'odyssée des champignons
Auteurs : François LE TACON, Directeur de Recherches émérite à l'INRA - Université de Lorraine et Jean-Paul MAURICE, membre de la Société Mycologique de France.
Éditeur : Quæ (2019) 144 pp
Lecteur : André LAURENT

Les champignons ont-ils du génie ? La genèse potentielle du règne Fungi remonte-t-elle à un milliard d’années ou plus ? Les champignons cachent-ils des entités jouant un rôle semblable à celui des démons de Maxwell ? L’aventure évolutive mycologique peut-elle être éclairée par les techniques de biologie moléculaire ? Les champignons offrent-ils une corne d’abondance de principes actifs naturels pour la médecine, l’industrie chimique, les biotechnologies, l’agriculture, l’industrie alimentaire ? Faut-il s’alarmer d’une éventuelle perte de leur biodiversité ?
    Notre collègue François LE TACON, directeur de recherche émérite INRA-Université de Lorraine, a coécrit avec Jean-Paul MAURICE, membre de la Société Mycologique de France, l’ouvrage « L’odyssée des champignons », qui fournit entre autres des réponses circonstanciées à ces questions. L’originalité de son vaste contenu mycologique est indéniable. La large approche systémique rapportée se démarque nettement de la littérature mycologique traditionnelle avec ses flores analytiques et ses nombreux guides de détermination. Le long voyage aventureux proposé dans le monde des champignons est narré en différentes étapes, dont la faculté d’appropriation reste flexible, tant pour le lecteur amateur (avec un glossaire des termes spécialisés) que pour l’expert averti.
    L’introduction souligne le rôle que jouent actuellement les champignons dans le fonctionnement de l’écosystème et celui qu’ils ont eu antérieurement dans la colonisation des terres émergées. Les domaines du règne Fungi sont successivement positionnés et illustrés grâce aux progrès de la biologie moléculaire par le concept du dernier ancêtre universel commun et un arbre phylogénétique simplifié.
    Le chapitre 1 décrit les étapes chronologiques de la colonisation des continents, des cyanobactéries initiales, aux lichens, aux groupes de champignons primitifs et aux formes actuelles de symbiose végétaux – champignons (ecto- et/ou endo-mycorhizienne). Le rôle primordial des champignons dans le recyclage de la matière organique est souligné. En ordre de grandeur le bilan carbone à l’échelle de la planète montre la réalité de ce rôle majeur des champignons. Les dégradations classiques en pourritures respectives blanche, brune et molle sont expliquées. Des exemples simples d’espèces mycologiques générant chacune des pourritures sont indiqués. La pertinence des échanges d’informations réciproques entre les partenaires arbres et associés fongiques, qualifiés de dialogue permanent par les auteurs, est remarquablement exprimée et commentée.
    Le chapitre 2 montre comment les hommes ont tenté de tirer parti de l’utilisation et de la consommation des champignons. L’amadouvier, polypore en sabot de cheval, a été utilisé tardivement comme aide à l’allumage d’un feu. La tentative d’exégèse spéculative des différentes hypothèses d’explication biologique de la manne, nourriture inattendue et providentielle des Hébreux dans le désert d’après le récit de l’ Ancien Testament, est à interpréter avec beaucoup de prudence, en raison des différents angles métaphoriques présentés, d’origine incertaine et en l’absence de difficiles preuves acceptables. Les levures contribuent largement à la préparation du pain, à la fabrication de la bière, à la fermentation alcoolique du vin, à l’élaboration des effervescents, dont le champagne. Des moisissures, comme la pourriture grise, puis noble, permettent la production de vins liquoreux exceptionnels. L’utilisation complexe d’autres moisissures est omniprésente dans la cuisine asiatique. L’importante découverte de la pénicilline par Fleming et de son effet curatif dans diverses maladies infectieuses a engendré une multitude de recherches sur les antibiotiques. Mais il s’est aussi avéré que certaines souches de bactéries résistaient aux antibiotiques. La fabrication du fromage est une autre conquête de l’alliance, cette fois en synergie, du rôle des moisissures et des bactéries.
    Le chapitre se poursuit avec une importante revue classique sur la difficile culture des champignons, d’abord par les insectes, puis par les hommes avec par exemple le shiitake, le champignon de Paris, le pleurote, la morille et la truffe. Enfin quelques exemples de champignons rebelles à la culture, en raison des mécanismes complexes de symbiose arbres – champignons à reproduire, complètent ce panorama.
    Le chapitre 3 énumère certaines menaces réciproques des hommes et des champignons. L’impact de l’homme, via la déforestation, la transformation des sols et le changement climatique, contribue à la réduction de la biodiversité des espèces fongiques. Bien qu’aucune macro-espèce n’ait encore disparu en Europe, une liste rouge d’espèces menacées a été proposée à la Convention de Berne (1979), mais l’annexe correspondante d’inscription est en suspens. En conséquence seules diverses listes rouges nationales coexistent.
    L’influence de champignons pathogènes, générant les mildious de la pomme de terre et de la vigne, l’oïdium du chêne et de la vigne, la maladie hollandaise des ormes, a provoqué des ravages spectaculaires.
    Les principaux champignons toxiques, contenant des molécules dangereuses pour l’homme et pouvant conduire à de graves intoxications, sont passés en revue. En prévention, une page de conseils et recommandations pour la cueillette des champignons est proposée au lecteur, tant du point de vue réglementaire que de celui des bonnes pratiques de ramassage.
    L’indication de certains champignons psychotropes, contenant des substances hallucinogènes, souvent classés comme stupéfiants, est mentionnée avec prudence pour leur utilisation potentielle thérapeutique.
    Enfin quelques explications concernant des espèces mycologiques accumulatrices de métaux lourds et de radioéléments sont bienvenues pour modérer la persistante rumeur de danger.
    La conclusion de l’ouvrage « L’Odyssée des champignons » est une synthèse des multiples facettes du règne Fungi dévoilées par les auteurs.
    La lecture de cette aventure mycologique est plaisante et enrichissante. L’odyssée est dosée d’une certaine culture du doute. Chaque chapitre peut être découvert séparément. Le choix des schémas simples et des illustrations photographiques est pertinent et utile. Leurs clartés et qualités respectives sont aussi à souligner. A lire et à relire.

Titre : Les Professeurs de Médecine de Nancy (1872-2019)
Sous-titre : Ceux qui nous ont quittés
Auteur : Bernard LEGRAS, Professeur émérite de l'Université de Lorraine
Éditeur : Auto-édition avec le système KDP (septembre 2019) 656 pp, vendu exclusivement sur Amazon
Lecteur : Jean-Pierre NICOLAS

Cet ouvrage du Professeur Bernard LEGRAS complète une édition antérieure sur la Faculté de Médecine de Nancy. Il présente ici 23 collègues disparus depuis avec, pour chacun d'eux, un éloge général ou un article de synthèse provenant le plus souvent d’un numéro spécial du centenaire des Annales Médicales de Nancy. Des photos complètent ces informations.
    L'auteur affirme le renom et la richesse des traditions médicales Lorraines. Il permet de prendre conscience de ce que la renommée de la Faculté de Médecine de Nancy doit à ces anciens Professeurs. C'est une source d’inspiration pour les futures générations.
    "Il n’y a de richesse ni de force que d’hommes" (Jean Bodin - Les Six Livres de la République.1577)


Titre : Rudolf Hess ; la dernière énigme du troisième Reich
Auteur : Pierre SERVENT
Éditeur : PERRIN - Biographie. (septembre 2019) 485 pp.
Lecteur : Gérard BECK (Directeur de Recherche émérite du CNRS)

C’est un travail de trois ans à partir des archives britanniques, soviétiques, françaises et ce qui reste des allemandes qu’il a fallu à l’auteur pour reconstituer le fonctionnement à la fois dramatique et grotesque du troisième Reich allemand et de ses personnages, plus improbables les uns que les autres. L’auteur analyse avec beaucoup de finesse les relations particulières de vénération de nombreux cadres du NSDAP (les nazis) pour un très médiocre personnage, autrichien qui a tout raté dans sa jeunesse et ne s’est jamais remis du décès de sa mère, nommé Adolf Hitler. Mais c’était un génie de la communication. Il y a des leçons à en tirer pour notre époque...
    Cet ouvrage très bien documenté est passionnant comme un roman. Il serait particulièrement distrayant à lire s’il ne couvrait pas les abominations que l’on sait. Il permet de comprendre pourquoi un peuple aussi avancé et cultivé que le peuple allemand avec ses savants, ses musiciens, ses philosophes et son organisation efficace a pu sombrer ainsi dans l’atrocité. Ce livre devrait être lu largement pour inciter à la vigilance.
    La vie de Rudolf Hess est racontée avec les paradoxes d’un homme qui aurait dû succéder à Adolf Hitler s’il n’avait fui, en 1941, au Royaume-Uni de façon rocambolesque racontée ici avec réalisme et précision. Il était parti, à la grande fureur d’Hitler, pour changer le cours de l’histoire et mettre un terme à la barbarie sournoise de Staline, mais il n’a pas été compris. Le goulag a pris la succession des camps nazis dans le registre des crimes.
    Étrange personnage, né en Egypte et féru d’occultisme, il constitue une énigme qui a donné lieu à de nombreuses théories de complots. Mais il reste un des principaux concepteurs de l’idéologie nazie et de ses abjections, avec notamment sa haine viscérale des juifs qui apparaît dans "Mein Kampf", opus doctrinal du nazisme, écrit par Hitler en sa proximité lorsqu'ils étaient emprisonnés en 1924 ensembles par la République de Weimar dans la forteresse de Landsberg, en Bavière.
    Comme Hess n’était plus en Allemagne lors des massacres des camps de concentration, commencés après la campagne de Russie, il n’a pas été condamné à mort lors du procès de Nuremberg en 1945-46, pour rester prisonnier pendant 45 ans avec une escouade pour le garder à la prison de Spandau à Berlin. Avant de décéder à 93 ans, peut-être « suicidé » car il en savait trop notamment sur les accords germano-soviétiques de 1939 et leurs clauses secrètes que les russes se sont toujours échinés à laisser secrètes. Elles sont maintenant connues et présentées dans cette biographie.
    Les événements décrits ont encore une grande influence sur le monde d’aujourd’hui dont l’organisation reste très influencée par les séquelles des péripéties de cette époque, dont il ne reste presque plus de survivants. Cette enquête biographique aboutit à un livre captivant, écrit d’une plume alerte, convoquant de nombreux témoins et documents sur ce personnage, sans doute le plus énigmatique du IIIe Reich.
    Pierre Servant a participé à Nancy au Livre sur la Place 2019 et apparaît souvent dans les medias sur les questions de Défense.


Titre : Les heures indociles, Villa Imago... et les autres
Auteur : Éric MARCHAL
Éditeur : Anne CARRIÈRE (2018 et 2019) 500 pp. et 400 pp.
Lecteur : Pierre LEROY (Professeur émérite, Faculté des Sciences, Université de Lorraine)

    Éric Marchal est un écrivain lorrain qui excelle dans le roman historique ; de formation scientifique (pharmacien, chercheur en immunologie), il est féru d’histoire de la médecine et de la pharmacie, et il est l’auteur depuis dix ans de plusieurs romans bâtis sur des faits historiques très divers. Les personnages réels et imaginaires s’y croisent dans une trame commune mélangeant romance, description des avancées des sciences et techniques du moment et politique. Les faits s’entremêlent selon une narration plaisante, reposant sur une bibliographie abondante et très fouillée.
    Le premier de ses romans était "Influenza" ; il se compose de deux tomes ("Les Ombres du ciel", 2009 ; "Les Lumières de Géhenne", 2010) qui retracent une errance entre l’Europe et l’Asie à la recherche de lieux de production massive du virus de la grippe espagnole destiné à être une arme de guerre.
      "Le soleil sous la soie" (2011) raconte l’histoire d’un chirurgien novateur dans les techniques opératoires en particulier en obstétrique et œuvrant à la cour des ducs de Lorraine à la fin du XVIIème siècle. La vie dans la cité nancéienne y est remarquablement décrite, en particulier les activités de soins développées à l’hôpital Saint Charles.
    L’action de "La part de l’aube" (2013) se situe à Lyon en 1777 et elle est centrée sur la découverte d’écrits démontrant l’importance de la civilisation gauloise et le risque encouru par la royauté française dans le cas d’une divulgation.
    "Là où rêvent les étoiles" (2016) se déroule à l’Alhambra de Grenade et nous fait découvrir entre autre les débuts de la science météorologique, les travaux de Gustave Eiffel du pont métallique au-dessus de la vallée du Douro à Porto à la tour bâtie pour l’exposition universelle de 1889 à Paris.
    "Les heures indociles" (2018) traite du mouvement des suffragettes en Angleterre au début du XXème siècle mais aussi de l’installation d’un service d’urgence à l’hôpital Barts à Londres, mettant en scène un médecin français originaire d’Indochine qui mélange les techniques occidentales les plus modernes avec des traitements issus de la médecine traditionnelle chinoise dont l’acupuncture. La pauvreté régnant alors dans les quartiers populaires de Londres (East End) y est méticuleusement décrite.
    Son dernier roman paru en Mai 2019 présente une rupture par rapport aux précédents ; il ne repose plus sur un fond historique et scientifique mais sur une confrontation de personnages aux profils psychologiques très variés réunis au sein d’un même lieu, la "Villa imago". La raison de leur rencontre est le passage entre la vie et la mort, le séjour dans cette villa correspondant au stade de développement final de l’individu ou « imago », à l’image de la mue imaginale des arthropodes et des amphibiens. Chacun interprétera cette étape avec sa propre sensibilité mais il semble qu’un fort apaisement de l’âme l’accompagne.

 
Titre : Fragments de l'amour
Auteur : Yvon QUINIOU
Éditeur : Les Cahiers de l'Égaré (2019) 100 pp.
Lecteur : Marc-Mathieu MÜNCH (Professeur émérite de littérature générale et comparée)

    Ceux qui ont connu une soirée bienfaisante au cours de laquelle ils ont découvert, comme en filigrane, dans le tissu d’une conversation à bâtons rompus, le visage fin et la parole authentique d’un homme dont ils ont aussitôt décidé de se faire un ami me semblent prêts à goûter les Fragments de l’amour d’Yvon QUINIOU qui viennent de paraître aux Cahiers de l’Égaré.
    C’est qu’on s’y trouve plongé dans un moment précieux de réflexions, de questionnements, de confidences sur l’amour et dans une quête de ce que pourrait l’amour véritable.
    Yvon QUINIOU a l’art de créer un texte savamment construit qui, sans qu’il y paraisse, nous fait entrer dans le sujet lequel, parallèlement, entre en nous. A chaque instant on reçoit une idée, une scène, une question et l’on donne un souvenir, une réponse, une image.
    Il n’est pourtant pas facile d’écrire juste sur l’amour en partant, non pas d’un point de vue abstrait, ce qui serait académique, mais, bien mieux, d’une situation de coin du feu, un samedi soir, avec de vrais amis.
    L’humain tout l’humain, voilà le principe de l’auteur. Pour y arriver, il a choisi de faire cohabiter toutes nos facettes, le corps, le désir, la pudeur, le récit, l’expérience, la confidence, l’angoisse, l’espoir, le « je » et l’Autre, mais sans oublier, bien sûr, les moments difficiles de l’amour, les accidents et finalement la condition amoureuse elle-même, notre condition amoureuse.
    Ainsi nous est-il suggéré peu à peu quelque chose comme une sagesse-vérité de notre amoureuse nature. Si elle nous réussit, parfois, souvent et nous sauve de l’absurde, c’est dans la fusion continuée en sentiment, voire dans la présence, la pleine présence au quotidien de l’être aimé, respecté/respectant, tout au long d’un projet de longue durée…
    Mais bien sûr, tout ceci ne passe que grâce à une écriture harmonieuse, musicale, prenante, faisant penser au souffle de Proust, mais égayée parfois, par un point ou par des tirets que l’on n’attendait pas…


Titre : La fabrique du monstre
Sous-titre : 10 ans d'immersion dans les quartiers nord de Marseille, parmi les plus inégalitaires de France
Auteur : Philippe PUJOL
Éditeur : Edition des Arènes (2016) 272 pp.
Lecteur : Monique GRANDBASTIEN

    J’ai été attirée au mois d’Octobre 2018 par le sous-titre de cet ouvrage paru en 2016 et donc relativement récent. Je suis née à Marseille, j’y ai grandi et les noms de lieux ou de personnes, les vagues d’immigration et l’évolution des quartiers résonnent de façon particulière pour moi. Je ne pensais pas en faire une note de lecture, mais les événements de ces dernières semaines le rendent tellement actuel que j’ai souhaité en parler. L’auteur est journaliste, il effectue un travail de terrain depuis de nombreuses années pour rendre compte de la vie dans ces cités et tenter d’en comprendre les ressorts.
    Le livre commence par des descriptions trop classiques mais toujours choquantes de la vie dans ces quartiers où personne ne veut entrer, le shit que l’on transforme avec de l’huile de vidange pour l’alourdir un peu, le guet, les descentes de police. Le chapitre 3 pourrait ouvrir un roman policier, le jeune Kader a été assassiné, pourquoi ? Par qui ? Qui est le prochain sur la liste ? En suivant quelques héros, l’auteur nous détaille la vie quotidienne, le désarroi des mères de ces adolescents devenus caïds, la tentation de l’argent facile alors que d’autres perspectives manquent cruellement, les réseaux consolidés en prison, etc. Il rappelle aussi l’histoire des parents venus de l’autre côté de la méditerranée, passés par les bidonvilles, puis les cités de transit, puis les HLM pour certains, les marchands de sommeil pour d’autres. La routine en somme, on s’y est tellement habitué… à tort évidemment.
    Mais l’actualité me rattrape. Le 12 novembre 2018 des immeubles vétustes et insalubres se sont effondrés rue d’Aubagne à Marseille, faisant des morts et des blessés. On n’est plus dans les quartiers nord mais en plein centre ville, pourtant l’activité des petites filles de la cité me revient. Que font les petites filles pendant que leurs frères s’occupent de faire le guet pour les livraisons de drogues ? Elles gagnent un peu d’argent elles aussi ! Comment ? En allant ramasser les cafards qui fourmillent en grand nombre dans les gaines techniques des immeubles. Un seau de cafards se vend ! Qui les achète ? Des candidats à l’acquisition d’immeubles vétustes qui veulent les faire déclarer insalubres pour les vider de leurs occupants et les louer ensuite à des sans papier – euh non, pour les rénover bien sûr! Parce que les primes pour travaux qu’on n’effectue pas toujours, les rachats d’immeubles, c’est un trafic ancien et bien organisé à Marseille et ailleurs sans doute! Quand la réalité dépasse la fiction….
    A partir du milieu de l’ouvrage, l’auteur nous montre comme ce monde de voyous côtoie les acteurs sociaux et les politiques qui subventionnent des associations pour aider ces quartiers : « elle m’a donné une bonne mission, mes assos font le job, j’aide les minots à ne pas tomber dans les trafics….et elle nous subventionne grassement, et tout le monde travaille pour elle, soit pour nuire à ses concurrents, soit pour rassembler des voix à chaque élection, on y gagne tous. » Des mondes où on glisse très vite du compromis pour vivre ensemble à la compromission.
    La dernière partie du livre tente justement de dénouer les nombreux fils entrecroisés depuis la Libération entre la classe politique locale, toutes tendances confondues, les quartiers, voire le grand banditisme. Cette partie est probablement un peu plus difficile à lire pour qui n’est pas un peu familier des figures politiques locales, mais tout aussi effrayante que la réalité quotidienne dans les cités.
    L’actualité m’a encore rattrapée, la conclusion pourrait avoir été écrite comme illustration des scandales dénoncés par les gilets jaunes : « cette ville n’est tout simplement que l’illustration visible des malfaçons de la République Française. »
    On peut trouver que l’auteur a noirci le tableau, qu’il aurait pu nous faire accompagner des jeunes qui malgré l’accumulation de difficultés sont sortis de ces quartiers, et qui pour certains ont voulu en aider d’autres à s’en sortir en devenant éducateurs. Il évoque ces autres profils au fil des récits, notant par exemple que quand il rencontre ces jeunes pour la première fois, c’est le souci de l’emploi qui prime : « Eh le journaliste, t’as pas du boulot pour moi ? », mais ce n’était pas l’objectif de cet ouvrage.


Titre : Le pari de Madame Einstein
Auteur : Claire WAGNER-RÉMI
Éditeur : BoD-Books on Demand (2018) 244 pp.
Lecteur : Simone GILGENKRANTZ

    Albert Einstein est considéré comme un des plus grands scientifiques de l’histoire. Ses travaux sur la relativité restreinte, puis sa théorie de la gravitation, ou relativité générale, lui ont valu le prix Nobel de physique.
    Sa renommée dépasse largement le milieu scientifique et il est mondialement connu. Pourtant, on est longtemps resté très discret sur sa vie de famille et sur sa descendance.
    Ce n’est qu’en 1987, après sa mort, que son fils aîné, Hans Albert, ayant ouvert un coffret appartenant à sa mère, a découvert et divulgué la correspondance du couple Einstein. Celle-ci révèle non seulement la relation fusionnelle ayant existé entre Albert Einstein et Mileva Marić, mais aussi l’importante contribution de cette jeune femme aux premiers travaux qui furent publiés uniquement sous le nom d’Albert Einstein. Malgré une action en justice intentée par les exécuteurs testamentaires d’Albert Einstein, l’histoire du couple d’Albert et de Mileva est peu à peu mise à jour et dévoile le comportement inacceptable d’Albert Einstein vis-à-vis de sa première épouse. Née en Serbie en 1875, cette jeune fille se révèle très tôt remarquablement intelligente, et passionnée par les mathématiques et la physique. A tel point qu’à 15 ans, elle obtient l’autorisation d’étudier au Gymnase Royal de Zagreb, école réservée aux garçons et spécialisée dans les « sciences exactes ». Les résultats qu’elle obtient lui ouvrent les portes du Polytechnikum de Zurich, où son père, propriétaire terrien aisé et très cultivé, l’encourage à s’inscrire car il n’existe pas d’école analogue en Serbie. Ses années d’études à Zurich sont pour elle des années merveilleuses où elle opte pour la « physique théorique » en même temps qu’un jeune étudiant de 17 ans, Albert Einstein, passionné lui aussi par cette discipline. Ils travaillent ensemble et très vite, ne peuvent plus se passer l’un de l’autre : Albert lui adresse de jolies lettres d’amour. Toutefois Mileva n’étant pas juive, le mariage est impossible pour la famille d’Albert. il n’aura lieu qu’en 1903, après la mort de son père.
    L’auteure de ce livre - qui est aussi mathématicienne - décrit d’abord leur passion pour les sujets de recherche en physique encore non résolus à l’époque : hypothèse des quanta de lumière, théorie du mouvement brownien… avec un glossaire pour en faciliter la compréhension). Elle tente ensuite, d’après les faits, de décrire les sentiments de Mileva qui peu à peu abandonne toute recherche et séjourne à Zurich près de son fils Edouard, schizophrène, définitivement placé à l’hôpital psychiatrique, tandis qu’Albert, remarié avec sa cousine germaine, s’installe aux Etats-Unis. Seule trace de leur union : le versement de l’argent du prix Nobel à Mileva pour subvenir à la prise en charge hospitalière d’Edouard.
    Ce livre, très modeste, aborde avec objectivité et sans pathos l’histoire d’une de ces nombreuses femmes méconnues qui ont contribué aux progrès de la science.


Titre : Journal d'Irlande
Sous-titre : Carnets de pêche et d'amour
Auteur : Benoîte GROULT
Éditeur : Grasset - Littérature française (2018) 432 pp.
Lecteur : Gérard BECK

Il existe un féminisme intelligent, Benoîte Groult l’a prouvé. Son "Journal d’Irlande" permet de s’en convaincre. Avec son mari Paul Guimard écrivain, ami et conseiller de François Mitterand, ils se sont pris de passion pour l’Irlande, l’île des saints et des fous où ils ont construit une maison qu’ils ont occupée tous les étés de 1977 à 2003. C’est dans ce pays où il faut être fou, poète, ivrogne ou fou-amoureux pour survivre qu’elle reçoit ses amis, allant de François Mitterand aux Badinter, à Eric Tabarly et à bien d’autres visiteurs plus ou moins illustres.
Elle fait le récit sans fard du trio amoureux qu’elle forme pendant des décennies avec son mari et son amant Kurt connu en 1945, juif allemand réfugié aux Etats-Unis, et des complications dans le respect de chacun induites par une telle situation.
Les portraits qu’elle dresse n’épargnent personne. Ils sont pleins d’humour et de rosserie mais jamais méchants. Elle a vécu 96 ans jusqu’en 2016, mais fut frappée à la fin de sa vie d’une maladie dégénérative. C’est une de ses trois filles, Blandine de Caunes, qui a rassemblé ses très nombreuses notes de pêche et son journal intime pour en faire cette chronique.
Le jugement implacable qu’elle porte sur le vieillissement de ses proches et d’elle-même, lucide et concret, mérite d’être pris en considération quand on vieillit soi-même...
Ce journal intime se lit comme un roman drôle, étonnant voire bouleversant. C’est un hymne à la liberté.

Titre : Travellers in the third Reich
Sous-titre : The rise of fascism through the eyes of everyday people
Auteur : Julia BOYD
Éditeur : Elliott  Thompson (2017) 464 pp.
Lecteur : Jean-Claude GACHON

Ce livre est un recueil de témoignages de gens qui ont voyagé en Allemagne entre les deux guerres et même pendant, aussi bizarre que cela paraisse. Il y avait par exemple dans l’Allemagne en guerre de 1939 à 1945 des Suisses, des Chinois, des Américains du nord (tant que les USA ne sont pas entrés dans le conflit) qui continuaient à étudier ou à travailler dans des conditions pas toujours faciles.
L’ouvrage adopte un plan chronologique et montre ainsi l’évolution de la population, de ses conditions de vie et de son conditionnement par la propagande sur plus de vingt cinq ans. Les témoignages sont très nombreux et même si chacun d’entre eux peut être suspecté de subjectivité, la confrontation entre pro-, indifférent et anti-nazi permet de dégager des éléments objectifs de la lecture. Le passage de l’immédiat après-guerre, avec le fardeau et l’humiliation que représentait l’ensemble des conditions imposées à l’Allemagne pas les vainqueurs, d’abord au rétablissement d’une monnaie stable puis à la construction du troisième Reich et à la guerre est développé à travers des extraits de journaux intimes, de lettres, de notes de journalistes…
La variété des témoignages ne doit cependant pas masquer le fait que dans la majorité des cas les témoins cités sont des gens d’une classe sociale plutôt aisée et suffisamment cultivée pour s’intéresser à l’Allemagne, y aller, y travailler ou y envoyer ses enfants. Il semble que la renommée des universités, les richesses naturelles, culturelles et architecturales aient constitué un puissant attrait pour beaucoup de Britanniques qui profitaient en plus d’un change favorable à la livre sterling. L’auteure étant anglaise, il semble naturel que les témoignages d’anglophones soient les plus nombreux, mais on trouve également quelques contributions de francophones, voire de français même si ces derniers n’étaient vraiment pas les mieux considérés et les plus souhaités alors par la population allemande. D'autres nations sont également représentées, l’auteure ayant fait un travail de recherche aussi vaste que possible.
L’impression d’ensemble est que les étrangers voyageant alors en Allemagne étaient très bien reçus par des locaux très courtois qui voulaient montrer leur pays sous le meilleur aspect pendant que beaucoup de visiteurs s’intéressaient à une « Allemagne » idéalisée en ne considérant pas, après la prise du pouvoir par Hitler, l’ensemble des réalités terre à terre du « National Socialisme ». Les instances dirigeantes déployaient d’ailleurs beaucoup d’énergie à occulter ou à déguiser les pires atrocités tout en exaltant les aspects avantageux du régime. La visite de Dachau avant 1939 a été proposée plusieurs fois à des hôtes de marques qui ignoraient que les « pensionnaires » qu’ils rencontraient étaient en fait des gardiens déguisés et sans doute dûment chapitrés, les vrais prisonniers étant tenus à l’écart. L’embrigadement de la population et des jeunes en particulier ne semblait pas dérangeant pour beaucoup de voyageurs qui admiraient comment ces derniers s’employaient à toutes sortes de tâches utiles au Reich ou à sa population plutôt qu’à paresser en attendant que le temps passe. En conclusion, un livre intéressant mais avec une restriction concernant sa non-traduction en français.


Titre : Et moi, je vis toujours
Auteur : Jean d'ORMESSON
Éditeur : Gallimard, nrf (2018) 288 pp.
Lecteur : Christian G'SELL, sur la recommandation d'Armand HADNI

Le fait d'avoir indiqué la date précise de sortie de ce livre n'est pas anodin. En effet, son auteur étant décédé le 5 décembre 2017, il s'agit d'un ouvrage posthume, de peu, et on imagine bien que l'éditeur avait reçu des consignes spéciales pour retarder la parution jusqu'après le décès. C'est une volonté motivée par le sujet même du roman. D'ailleurs, en conclusion, d'Ormesson reprend à son compte une citation du philosophe Jankélévitch : "Si la vie est éphémère, le fait d'avoir vécu une vie éphémère est un fait éternel".
Ce livre est à la fois passionnant et déroutant. En effet, l'auteur y disserte sur les grands évènements du monde, de la préhistoire jusqu'à nos jours. De toute évidence, ceux qui l'ont le plus frappé concernent les avancées intellectuelles sur les rives du Nil, les péripéties de l'antiquité gréco-romaine, les turbulences du Moyen-Orient où la montée de l'Islam dérangeait déjà l'Occident, les voyageurs mythiques de l'Orient qui mettaient des mois à traverser l'Asie, la découverte de l'Amérique et sa colonisation quelque peu brutale, la domination (temporaire) de la culture française sur toute la sphère européenne, le bouillonnement des talents littéraires au siècle de Louis XIV, les fondations généreuses et les déviances totalitaires de la révolution française, l'apparition inattendue d'un empereur conquérant et réformateur sur les cendres de cette révolution et, finalement, le développement de la pensée scientifique facilitée au 15ème siècle par l'invention de l'imprimerie. "Bien longue, ta phrase", avez-vous envie de me dire ! Eh bien, ce n'est pas par hasard car le livre en possède d'encore plus longues, avec des énumérations répétées.
Au fil des pages, d'Ormesson nous fait partager sa culture incroyablement riche et universelle. Le lecteur grincheux jugera sans doute que l'auteur étale un peu trop cette culture et qu'il radote quelquefois d'un chapitre à l'autre du fait de son grand âge ! Cet esprit académique m'a un peu perturbé au début, mais je m'y suis fait en pensant que ces pages avaient été écrites par un homme de 92 ans.
Au-delà du partage de faits historiques et culturels, le roman fait preuve d'un style original. En effet, il rapporte les aventures d'un personnage se faufilant d'un siècle à l'autre, voire participant personnellement aux événements relatés. Le roman nous fait ainsi partager, de façon vivante, les principaux épisodes de notre civilisation, et ose des parallèles entre des périodes antiques et contemporaines. On s'y perd un peu parfois, mais quel talent de conteur… ou de conteuse. En effet, sans que j'aie pleinement réussi à en comprendre la raison, ce personnage est parfois un homme et parfois une femme. Peut-être pour ne pas tomber dans le machisme si courant à certaine époques.

Titre : Du Württemberg au Bois-le-Prêtre
Sous-titre : 1914-1918
Directeur de la publication : Jean-Pierre DRULANG-MACK
Avec le concours de Silvia HAGE et Thierry BERTINOTTI
Éditeur : Edhisto (2016) 407 pp.
Lecteur : Jean-Claude GACHON

Ce livre est la réunion de trois journaux de guerre de combattants allemands de la première guerre mondiale : Eugen Efinger (enseignant, haut fonctionnaire et écrivain), Johan Baptist Mack (maître charron, agriculteur, batteur de blé et conseiller municipal) et Albert Weiss (agriculteur, maire et artiste). Tous les trois ont combattu dans la région lorraine. Les journaux manuscrits originaux ont été déchiffrés et transcrits (certains mots sont restés illisibles) puis les textes ont été traduits. Le livre contenant les deux versions permet si on le souhaite la confrontation des deux langues mais les traductions en français n’appellent pas de remarques particulières. Des trois journaux, les deux derniers sont de simples exposés de faits qui peuvent surtout intéresser les passionnés de batailles et de reconstitutions historiques en précisant qui était où et à quel moment ; le premier, au contraire est rédigé et documenté, l’auteur notant les détails de sa vie quotidienne depuis les jours précédant la déclaration de guerre jusqu'au retour au pays après la fin des combats. Ce témoignage a l’intérêt de montrer le front vu côté allemand, la plupart des ouvrages relatifs aux combats sur le sol français étant aussi d’origine française. Le point de vue opposé est donc très intéressant à connaître même si les souffrances endurées étaient les mêmes de part et d’autre.
La façon dont Eugen Efinger parle des endroits qu’il visite sur le territoire français alors occupé montre que pour lui et sans doute pour d’autres Allemands de l'époque le fait pour un militaire allemand de poser le pied sur un sol étranger le germanise et qu’il s’agit d’un bienfait. Dans le même temps il faut noter qu’il ne manque pas de respect à ceux d’en face qu’il qualifie beaucoup plus souvent de "Gegner" plutôt que de "Feind"..


Titre : La guerre des métaux rares
Sous-titre : La face cachée de la transition énergétique et numérique 
Auteur : Guillaume PITRON
Éditeur : Les liens qui libèrent (2018) 295 pp.
Lecteur : Jean BRUN-BELLUT (avec un commentaire de Gérard BECK)

Dans un livre qui fourmille de données chiffrées et de citations d’articles, de revues et d’interviews, l’auteur (journaliste) nous fait pénétrer dans les marchés, les conflits... et les pollutions qui sous-tendent la transition énergétique et numérique. Dans une première partie il nous explique comment  l’obtention de ces métaux rares qui nécessite des masses très importantes de minerai et des process très peu propres, entraîne de fortes consommations d’eau, des rejets de métaux lourds qui polluent les sols et les cours d’eau avec effets sur la santé des populations des pays producteurs ; la production importante de gaz à effet de serre, la libération d’éléments radioactifs dans l’atmosphère ainsi que l’épuisement des réserves. Le recyclage de ces métaux est extrêmement difficile, non rentable et polluant !
L’auteur montre ensuite comment les pays développés ont "résolu" les problèmes de pollution en sous-traitant les fabrications auprès des pays en développement où le coût de la main-d’œuvre et la réglementation sanitaire quasi inexistante ont réduit de façon drastique les prix de revient. Une des conséquences de ce transfert a aussi été de donner le pouvoir aux pays producteurs et transformateurs et particulièrement à la Chine par le développement sur son sol de la production de ces métaux rares ainsi que la prise de parts majoritaires dans les entreprises d’autres pays. Aujourd’hui ce pays contrôle les marchés de la plupart de ces métaux rares... et il organise en fonction de ses intérêts des embargos de ces produits.
L’auteur note qu’actuellement les armées des pays développés (particulièrement les USA) dépendent pour leur armement moderne des métaux transformés par la Chine (particulièrement les aimants). Ce pays peut limiter le développement de certains armements par des embargos sur certains produits…ou introduire des virus dans les matériels les plus sophistiqués (comme dans l’avion de combat F35).
Dans une dernière partie, Guillaume PITRON envisage l’avenir de la transition énergétique et numérique qu’il voit "en danger" face à une pénurie probable des métaux et son contrôle par un nombre très réduit de pays.
Un livre très intéressant qui permet aussi de mieux comprendre les relations géopolitiques mondiales  et qui donne un éclairage nouveau à la démarche américaine de vouloir "renationaliser" un certain nombre de productions industrielles (acier, aluminium, etc).


Commentaire de Gérard BECK

La situation décrite dans cet ouvrage est très inquiétante à moyen et long terme, mais connue depuis longtemps. Nous avons eu au CNRS dans les années 1990, au sein du programme dont j’étais responsable (le Programme Interdisciplinaire de Recherche sur les Matériaux), un Groupement de Recherche sur les terres rares. Il fut soutenu un temps par des industriels, Rhône Poulenc entre autres. Mais suite à des restructurations, ce dernier a disparu…Nous avions quelques très bons labos dans ce domaine (Meudon-Bellevue par exemple). Les chinois ont profité de leurs retombées en rendant hommage à la recherche française…!
Quant au lithium, il est surtout en Bolivie et il n’y en a pas beaucoup sur terre. De ce fait, la voiture électrique n’est pas une solution d’avenir généralisable à des dizaines de millions d’exemplaires dans l’état actuel des connaissances. Et gare à la pollution lors de la production et du recyclage des batteries Li-ion qui restent en plus un peu dangereuses à utiliser ! Mais on ne le dit pas au peuple. Et pour certains industriels, c’est "après nous le déluge". Il y a toujours un gros effort de recherche à faire. Les chinois s’y emploient dans l’espoir d’une percée scientifique et technique. Souhaitons leur bonne chance, j’ai pu apprécier leurs talents et leur rage de développement.

Titre : La charme discret de l'intestin
Sous-titre : Tout sur un organe mal aimé 
Auteur : Giulia ENDERS
Éditeur : Actes Sud (2017) 375 pp.
Lecteur : François MATH

De prime abord, voilà un sujet qui ne nous intéresse que quand on a des problèmes digestifs. On se dit parfois, après tout ce que nous avons entendu sur l'intestin, qu’il ne nous reste pas grand chose à découvrir sur le sujet. 
Lisez ce livre, qui n’est pas qu’une approche scientifique du sujet. Vous découvrirez ce que devient le bol alimentaire contenant des choses délicieuses, de sa transformation dans la bouche, l’estomac, l’intestin grêle jusqu’à la sortie. Tout est traité par une jeune docteur en médecine allemande sur un ton humoristique. Ainsi, de la digestion du sucre à la sensibilité au gluten, de l’importance des graisses alimentaires aux incontournables fibres qui activent le péristaltisme, tout y passe. On ne peut passer sans sourire sur "le carnet scatologique", qui présente en 6 pages les données à connaître sur la couleur et la consistance des fèces. Des explications humoristiques suivent sur les problèmes qui peuvent affecter notre tube digestif du haut en bas avec des recettes… sérieuses pour y remédier.
Un chapitre comique compare notre organisme à celui d’une ascidie, ce petit être marin doté d’un cerveau qui lui sert à chercher le meilleur endroit pour se fournir en plancton. Lorsqu’elle trouve son coin de rocher agréable, elle se fixe et mange son cerveau. Suivent des démonstrations selon lesquelles nous ne sommes en réalité qu’une tête et un ventre. Dans l’ordre d’importance, c’est plutôt le ventre qui domine le cerveau. L’ouvrage se termine sur le peuplement bactérien de l’intestin et son rôle essentiel.
Je ne suis pas un spécialiste du tube digestif, mais j’ai relevé une erreur physiologique concernant la couleur des selles. En effet, l’auteur dit que ce n’est pas l’hémoglobine qui les colore mais, en fait, ce sont des pigments biliaires qui sont associés à la dégradation des globules rouges, ce qui forme la stercobilirubine donnant la coloration des selles en brun.
A part ce point, c’est le genre d’ouvrage qui ne fatigue pas le cerveau mais tord plutôt les boyaux de rire.


Titre : La vie secrète des arbres
Titre original : Das geheime Leben de Bäume 
Auteur : Peter WOHLLEBEN
Éditeur : Les Arènes (2017) 260 pp.
Lecteur : Jean-Claude GACHON

Peter WOHLLEBEN est connu comme un forestier qui aime les arbres et qui en parle avec passion. Dans ce livre, il présente un ensemble de faits que sa propre expérience et des études scientifiques publiées lui permettent d’énoncer sans courir le risque d'être taxé de "raconteur d'histoires". Le livre est divisé en trente-six chapitres courts et relativement indépendants les uns des autres, qu’il serait trop long d’énumérer ici. Dans chacun d'entre eux est traité un aspect de la vie des arbres dans leur environnement, en considérant tout ce que la nature peut avoir comme interaction avec eux. Les champignons tiennent une grande place dans le fonctionnement d'ensemble. L’impression générale qui se dégage après lecture est, sans surprise, que l’auteur est emballé par son sujet, mais les références bibliographiques sont de solides garde-fous contre l’affabulation. Le point essentiel est que les arbres pourraient bien, avec des échelles de temps et d'espace sans rapport avec celles des humains, avoir une vie sociale et penser. La seconde idée qui suit immédiatement est que l’humain est vraiment un animal dangereux pour la nature. N'étant pas spécialiste de biologie végétale je me garderai de discuter les thèses de l’auteur mais, pratiquant la menuiserie à mes moments perdu, je me demande si je ne dirai pas à la prochaine planche que je raboterai : "il faut souffrir pour être belle"…


Titre : Homo deus - Une brève histoire de l'avenir
Auteur : Yuval Noah HARARI
Éditeur : Albin Michel (2017) 460 pp.
Lecteur : Jean BRUN-BELLUT

Après le succès mondial de son précédent ouvrage (Sapiens - Une brève histoire de l’humanité), Yuval Noah HARARI publie un deuxième volume qui concerne les possibilités d’évolution de la population humaine lors du troisième millénaire. Si nous, chercheurs, nous sommes bien placés pour savoir qu’il n’est généralement pas trop difficile de trouver des explications à des phénomènes observés ou des résultats d’expérimentations, en revanche prévoir l’évolution de certains systèmes est beaucoup plus difficile voire aléatoire… et pas uniquement pour nos collègues économistes !
Dans un chapitre introductif, l’auteur démontre qu’aujourd’hui homo sapiens a pratiquement résolu tous les problèmes : les grands fléaux de l’humanité sont sous contrôle : les famines sont la plupart du temps des effets secondaires de conflits, les épidémies n’ont plus les effets qu’elles avaient au cours des deux premiers millénaires. Donc, pour l’auteur, aujourd’hui, pour le 3ème millénaire, les deux objectifs principaux qui constituent "le nouvel ordre du jour humain" sont la recherche du bonheur… et de l’éternité.
Dans une première partie Y.N. HARARI revient sur la conquête du monde par homo sapiens tout en indiquant déjà que le nouvel homme à la fin du troisième millénaire (homo deus) sera aussi différent d’homo sapiens que ce dernier d’homo erectus. Il démontre dans un premier temps, ce qui sous-tendra tout le livre, que les organismes animaux (et humains) ne sont que des algorithmes. Puis il essaie de distinguer ce qui diffère homo sapiens de tous les autres animaux et particulièrement des mammifères. En résumé, ce qui nous différencie et explique notre développement c’est notre capacité de créer des entités virtuelles (nations, religions, etc.) qui permettent de rassembler des milliers de personnes sur des idées et leurs applications.
Dans une deuxième partie, l’auteur explique comment les humains ont donné du sens au monde à travers les religions qu’ils ont créées, religions qui disparaissent quand elles n’apportent plus rien à l’évolution de l’humanité. En particulier Y.N. HARARI se focalise sur la dernière "religion" qui donne un sens au monde, l’humanisme (et ses trois courants dont le libéralisme qui domine la fin du XXème et le début du XXIème siècle).
La dernière partie, intitulée "homo sapiens perd le contrôle", est la plus prospective. L’auteur montre comment homo sapiens peut "facilement" être supplanté par l’intelligence artificielle et comment l’humanisme sera remplacé par une nouvelle religion, le "dataisme". Avec la mise en réseau de toutes les bases de données, le flux d’information est tel qu’il dépasse largement les possibilités de synthèse d’homo sapiens. Seuls les ordinateurs sont capables d’intégrer toutes ces données… et donc ont le pouvoir.
Cette fin apocalyptique (au sens religieux) est un peu discutée dans le dernier chapitre. Mais les quelques phrases finales résument bien le sens de la démonstration de Y.N. HARARI. Je cite ci-dessous :
- "Les organismes sont des algorithmes et la vie se réduit au traitement de données",
- "L’intelligence se découple de la conscience",
- "Des algorithmes intelligents mais non conscients pourraient bientôt nous connaitre mieux que nous même".
Ce livre est difficile à résumer tant il fourmille d’exemples pris dans la bibliographie scientifique récente dans la plupart des secteurs. La démonstration est généralement bien construite même si certaines parties mériteraient plus de discussion (âme, esprit, conscience par exemple). La comparaison homme-animaux est pour moi (ex. biologiste-zootechnicien), assez intéressante.


Titre : Les enseignants de la Faculté des sciences de Nancy et de ses instituts
Sous-titre : Dictionnaire biographique (1854-1918)
Auteurs : Laurent ROLLET, Étienne BOLMONT, Françoise BIRCK 
et Jean-René CUSSENOT  
Éditeur : PUN - Editions Universitaires de Lorraine (2016) 599 pp.
Lecteur : François MATH

Cet ouvrage est un remarquable recueil de 160 biographies de nos illustres prédécesseurs du XIXème siècle jusqu’à 1918. J’ai apprécié les 55 premières pages qui relatent l’histoire de la Faculté des Sciences assez ballotée au gré des gouvernements successifs. Cependant le lecteur découvre que la date charnière est 1854, car c’est à cette période que Nancy se voit dotée officiellement d’un enseignement supérieur. Les quatre premiers professeurs nommés sont le Professeur GODRON pour l’histoire naturelle, le Professeur FAYE pour les mathématiques (nommé conjointement recteur de l’Académie de Nancy), le Professeur SÉGUIN en physique, et le Professeur NICKLÈS en chimie. Ces scientifiques font germer ce qui sera l’enseignement de notre faculté des Sciences. Très peu de temps après, en 1857, une nouveauté apparaît pour permettre d’orienter les étudiants en sciences vers les carrières industrielles. On trouve des tableaux donnant les effectifs d’étudiants qui nous laissent rêveurs aujourd’hui ! Ainsi, en 1869, il y a 3 licenciés en maths, 1 en physique et aucun en sciences naturelles. 1872 avec l’annexion de l’Alsace et d’une partie de la Lorraine, Nancy bénéficie du retour de la Faculté de Pharmacie et de Médecine qui quittent Strasbourg. Ensuite, jusque 1900, les effectifs augmentent sensiblement et nous remarquons même la présence de quatre étudiants étrangers. En cette fin de siècle, les enseignements s’adressent de plus en plus aux métiers de l’industrie, comme les brasseries et la laiterie (l’École de Laiterie est créée en 1905). La remarquable et très complète biographie des hommes qui ont fait notre Université se déroule ensuite sur 500 pages. On y retrouve des hommes dont les noms figurent au frontispice de l’Université de Nancy. Je citerai volontiers 4 personnages en exemple : i) le Professeur GRIGNARD, Prix Nobel de Chimie ; ii) le Professeur GODRON, dont j’ai acheté autrefois une flore datée de 1851 ; iii) le Professeur CUÉNOT, dont les travaux précurseurs en génétique furent remarquables, même si son incursion regrettable vers l’eugénisme et les théories prônées par l’Allemagne nazie ne lui ont pas permis d’obtenir des lauriers plus éclatants ; iv) le Professeur BOUIN, dont j’ai eu à étudier les techniques cytologiques quand j’étais étudiant en médecine.
C'est donc un très gros travail de 10 ans de compilation et de recherche dans les archives qui mérite amplement des félicitations aux auteurs. C’est aussi une étude qui nous interpelle car nous découvrons les parcours scientifiques de ceux qui furent les pionniers de notre Université.



Titre : La sonate oubliée
Auteur : Christiana MOREAU
Éditeur : Préludes (janvier 2017) 256 pp.
Lecteur : François MATH

Voilà un étrange récit. L’histoire débute par une jeune fille, Lionella, qui est une violoncelliste précoce. Son professeur de musique, qui apprécie sa jeune virtuosité, l’incite à se présenter à une épreuve difficile et très médiatisée : le concours Arpèges. Le problème de Lionella est de trouver un morceau inédit qu’elle rêve de jouer pour estomaquer le jury. Lionella a un fidèle admirateur et chevalier servant, Kevin. Celui-ci est un "chineur". Il déniche par hasard chez un brocanteur de Seraing, en Belgique, une boîte métallique contenant un cahier couvert d’écritures incompréhensibles pour lui, et plusieurs pages de partitions manuscrites. Il achète sa trouvaille pour une bouchée de pain et l'offre à Lionella. Celle-ci, originaire d’Italie, déchiffre tant bien que mal le journal et découvre qu'il a été écrit il y a près de trois siècles par une jeune fille prénommée Ada. Celle-ci, orpheline, est placée en 1705 dans une institution vénitienne, la Piéta, où l’abbé Antonio Vivaldi est professeur de musique. Ada est aussi une violoncelliste prodige et elle devient la chouchoute de Vivaldi au point qu’il lui confie la transcription des centaines de sonates qu’il a composées. Durant tout le récit, nous suivons les amours passés d’Ada, en parallèle avec les progrès actuels de Lionella. Celle-ci fait sienne la pièce musicale trouvée par Kevin, qu’elle appelle "Sonate à Ada", et qui lui vaut la seconde place au concours Arpèges. Mais qu’est devenue Ada, grâce à qui Lionella connait un grand succès ? Le cahier mystérieux s’arrête en 1725 sur une ambiguïté : Ada doit-elle épouser un vieillard, le fameux luthier vénitien Gofriller, ou bien se suicider en se jetant dans la lagune ? Autre énigme, la fameuse "Sonate à Ada" a-t-elle vraiment été composée par Ada ou par Vivaldi lui-même ? Nous ne le saurons pas… mais, au fil des pages, l’ouvrage nous fait découvrir un large pan de la vie du Maître.


Titre : Le rayon N
Auteur : Charles ANCE
Éditeur : Néreïeah éditions, 54740 Haroué (2017) 70pp.
NB. Le plus simple, mais pas le moins cher, est de commander directement cette bande dessinée chez l'éditeur. Site : http://www.nereiah.com ; mail : contact@nereiah.com
Lecteur : Jean-Pierre MICHEL

La France perd la guerre contre l'Allemagne en 1871 et, de ce fait, l'Alsace et la Moselle. En 1895, le physicien allemand Wilhelm RÖNTGEN découvre les rayons X (en Sarre !). De plus, il obtient, pour cette découverte, le prix Nobel en 1901. C'en est trop ! Les autorités politiques et scientifiques françaises demandent qu'on réagisse. C'est ce que fait avec succès notre collègue, René Prosper BLONDLOT (1849-1930), professeur de physique à la Faculté des Sciences de Nancy, située alors près de la porte de la Craffe. Il découvre les rayons N. Cette dénomination est inspirée de l'initiale de "Nancy". Publication, renommée internationale… puis incrédulité. Les rayons N ne sont observables que par BLONDLOT ! Finalement, discrédit et ridicule : c'était N comme "néant".
Cette BD nous plonge avec humour et talent dans le Nancy du début du 20ème siècle. Malheureusement, cet album ne nous apprend rien de plus sur la personnalité de René BLONDLOT. Aurait-il été finalement victime de ses "rayons" ? Il a quand même aujourd'hui à Nancy un parc à son nom (la résidence située près de la gare, où il vécut jusqu'à sa mort et qu'il légua à la Ville par testament), ainsi qu'une rue (rue des Blondlot, derrière le lycée Henri-Poincaré) dont il partage le nom avec son père Nicolas BLONDLOT (1808-1877), médecin, professeur de chimie et de toxicologie. Qui d'entre nous pourra en dire autant ?
(par patriotisme)
NB. L'histoire singulière de René BLONDLOT est également relatée dans "Les savants fous", de Laurent LEMIRE (2011), ouvrage commenté plus loin dans cette même rubrique.
Titre : Le guérisseur s'en va en guerre
Sous-titre : Roman historique
Auteur : François MATH
Éditeur : Ex Aequo (fin 2016) 186 pp.
Lecteur : Christian G'SELL

Dans ce nouvel épisode de son aventure familiale (voir "Le roman d'un guérisseur" publié en mai 2016), notre collègue François MATH nous fait retrouver son quadrisaïeul Rudolf, après qu'il eut quitté en 1830 son village natal de Laterns, en Autriche, où les conditions de vie étaient devenues très précaires. C'est à pied qu'il part en France, tel un "migrant". Selon la tradition familiale en effet, certains de ses ancêtres seraient déjà partis dans le passé vers le bourg comtois de Magny-Vernois, et y auraient trouvé des conditions de vie beaucoup plus favorables que dans les montagnes autrichiennes.

Magny-Vernois ....... Itinéraire de liaison ....... Laterns





L'aventure n'est pas sans risque et c'est tout un ensemble de péripéties que le jeune homme va rencontrer. Et pourtant, les choses devraient être faciles puisqu'on a besoin partout de tailleurs de pierre expérimentés et que l'aide d'un guérisseur bénévole est appréciée par le voisinage. Il tombe même amoureux de Joséphine, une jeune comtoise rencontrée lors de son passage à Lure. Tout se complique quand il réalise que son statut d'émigrant "clandestin" l'empêche d'obtenir la nationalité française et de se fonder une famille avec l'élue de son cœur… sauf s'il effectue son service militaire. Or, c'est l'époque de la colonisation de l'Algérie et des combats féroces menés contre les rebelles d'Abd-el-Kader. Ainsi, ce service militaire qui n'aurait dû être qu'une formalité se transforme en une campagne de guerre interminable de l'autre côté de la Méditerranée, de sorte que sa bien-aimée se pose de réelles questions sur son avenir avec un fiancé si éloigné.
Comme "à toute chose, malheur est bon", Rudolf est affecté en qualité d'infirmier militaire et réalise des prodiges pour soigner les blessés, au point qu'il s'attire l'estime, voire l'admiration, des médecins de son corps expéditionnaire qui identifient en lui un homme généreux et de grand talent. Réciproquement Rudolf réalise une habile synthèse de ses connaissances ancestrales et des pratiques médicales de ses supérieurs.
On se doute bien que les choses vont prendre une tournure positive… mais c'est le roman qui nous le révèle dans un style agréable qui donne envie de le lire d'un trait.


Titre : Les Professeurs de Médecine de Nancy (1872-2013)
Sous-titre : Ceux qui nous ont quittés
Auteur : Bernard LEGRAS
Éditeur : Euryuniverse (2014) 388 pp.
Lecteur : Christian G'SELL

Quand nous mettons en titre de cette rubrique "livre lu par...", cette assertion ne s'applique pas vraiment à l'ouvrage cité ici, quels qu'en soient les mérites. Ce n'est pas un volume que l'on dévore comme un roman... Il s'agit en effet d'une chronique alphabétique des grandes figures de la Faculté de Médecine de Nancy de 1872 à 2013, de Emile ABEL à Henri ZILGIEN.
Mais au fait, pourquoi avoir fait commencer cette rétrospective en 1872 ? C'est sans aucun doute parce que cette année-là, qui suit de peu le désastre de Sedan, un certain nombre de médecins réputés ont quitté l'Alsace-Moselle annexée par la Prusse et ont "opté" pour un départ vers la France (notamment à Nancy, ville frontière à cette époque). Ce n'est donc pas par hasard que le portrait d'Hippolyte BERNHEIM figure sur la couverture de cet ouvrage, lui qui était Maître de Conférences à l'Université de Strasbourg et qui s'établit à Nancy où il fut nommé finalement Professeur de médecine interne à l'Université en 1879.
Pour chacun de ses personnages, un éloge est publié, puisé dans les archives de la Faculté, et qui fut rédigé à l'époque par un "disciple" du Grand Maître disparu. C'est donc à un travail de recherche documentaire important et méthodique que s'est prêté Bernard LEGRAS, et qui donne tout son intérêt à l'ouvrage. Bien sûr, un lecteur non spécialiste aurait apprécié des textes de synthèse où l'auteur aurait donné son point de vue personnel sur cette histoire académique si riche et si complexe tout à la fois. Cela aurait été sans doute une "mission impossible" et n'aurait pas correspondu au projet initial qui était le sien de léguer aux jeunes générations un document de référence venant s'ajouter aux autres livres qu'il a publiés dans ce domaine médical avec méthode et compétence depuis de nombreuses années... et ce n'est pas fini !


Titre : La Fille du train
Auteur : Paula HAWKINS
Éditeur : Sonatine (2015) 378 pp.
Lectrice : Michèle KESSLER

Difficile de lâcher ce livre une fois sa lecture entamée. Ce premier roman de la Britannique Paula HAWKINS est mieux qu’un thriller exceptionnel, c’est un piège paranoïaque et jubilatoire.
Une héroïne borderline mais très attachante dans sa vulnérabilité : La Fille du train s'appelle Rachel. Depuis un mariage raté suivi d'un divorce, elle habite en colocation avec sa copine Cathy, dans la même ville que son ex. Pire: elle vient d'être virée de son travail après un repas trop arrosé avec un client. Elle continue pourtant de se rendre en train de sa morne banlieue pavillonnaire à Londres à 8h04 chaque matin pour tromper son ennui et mentir sur sa situation. Son occupation principale: regarder les gens, leur inventer des existences, quitte à flirter avec le voyeurisme.
Un alcoolisme retors : Rares sont les romans où l’alcoolisme est aussi bien dépeint. En plus du mystère auquel Rachel va être confrontée, la tension augmente au fur et à mesure qu'elle entretient une relation délicate avec cette dépendance responsable de trous noirs qui meurtrissent sa mémoire.
Une construction pleine de suspense : La Fille du train mélange les voix de trois narratrices distinctes, dont les points de vue apportent un éclairage différent sur les mêmes scènes. Il y a Megan, une femme au foyer, Anna, la nouvelle compagne de l’ex de Rachel, et cette dernière. Ce trio de voix entraîne une progressive montée du suspense. Qui dit vrai ? Qui dit faux ? L’alcoolique est-elle la moins fiable ou la plus clairvoyante ? Ce qui est certain, c’est qu’une femme va disparaître et que Rachel va tenter de comprendre pourquoi.
"Numéro Un" des ventes en Angleterre et aux États-Unis, ce premier roman est l’une des révélations de l’année 2015. Il a été adapté au cinéma l'année même de sa publication.

Titre : Sapiens - Une brève histoire de l'humanité
Auteur : Yuval Noah HAHARI
Éditeur : Albin Michel (2015) 492 pp.
Lecteur : Jean BRUN-BELLUT

C’est la traduction française d’un texte publié en hébreu en 2011. L’auteur, Yuval Noah Harari, (40 ans, doctorat à l’université d’Oxford en 2002) enseigne actuellement au Département d’Histoire de l’Université hébraïque de Jérusalem. Il a publié de nombreux livres et articles. Sapiens a été traduit dans le monde en 30 langues.
Dans un langage clair et compréhensible, avec l’appui de nombreuses références bibliographiques, l’auteur décrit l’évolution des sapiens sur les "100 000 dernières années". Ce qui fait l’originalité du texte, c’est qu’il explique de façon très argumentée, dans un premier temps comment sapiens a pu s’imposer face aux autres espèces d’hominidés présentes au départ. Puis il étudie différentes grandes civilisations et tente d’expliquer comment et pourquoi elles ont évolué de la sorte. Dans une dernière partie intitulée la fin d’homo sapiens l’auteur montre que jusqu'au XXème siècle l’évolution de sapiens était un continuum menant de la physique à la chimie et à la biologie, celui-ci étant incapable de se libérer de ses limites biologiques. En revanche depuis le début du XXIème siècle, diverses méthodes comme la manipulation génétique pouvaient aller à l’encontre de la sélection naturelle qui avait contrôlé l’évolution. A partir d’exemples différents (le lapin ALBA, les cyborg, etc.), l’auteur se demande si le mouvement du dessein intelligent qui s’oppose à l’évolution darwinienne, une aberration pour le passé, ne va pas devenir la base de l’évolution. Harari imagine les différentes directions que pourrait prendre l’évolution de l’humanité. La démonstration, s’appuyant sur des évolutions concrètes, est assez intéressante même si comme le reconnaît l’auteur lui-même la question qui se pose n’est pas que voulons-nous devenir mais que voulons-nous vouloir !
Un bon livre à lire et/ou à offrir pour Noël !


Titre : Quand le monde s'est fait nombre
Auteur : Olivier REY
Éditeur : Stock - Collection Essais-Documents (2016) 328 pp.
Lecteur : Gérard BECK

L’auteur, mathématicien chargé de recherche au CNRS, enseignant à l’Ecole Polytechnique, est venu à la philosophie à l’Institut d’histoire et de philosophie des sciences et des techniques de l’Ecole Normale Supérieure. C’est donc tout naturellement qu’il s’intéresse aux relations très étroites entre la civilisation, la politique et les "nombrifications" du monde dans lequel nous vivons. Passant des chasseurs-cueilleurs d’Amazonie qui n’ont de mots que pour un, deux et trois et disent ensuite "beaucoup" à notre société où la statistique règne sur la société pour recouvrir l’ensemble de la vie.
L’éducation se cache derrière les enquêtes PISA, les universités derrière le classement de Shanghai, les chômeurs derrière la courbe du chômage… La statistique devait refléter l’état du monde,mais le monde est devenu un reflet de la statistique. Cet ouvrage s’appuie sur une documentation très vaste, analysée avec profondeur. Il décrit le passage de la communauté où tout le monde se connaissait à la société d’individus faite d’inconnus statistiquement décrits, la question sociale venant de la substitution de règles imposées par le pouvoir à celles qui émergent de millions d’individus émancipés dans le cadre d’une économie libérale.
Les sciences de la nature et la littérature n’échappent pas au fossé qui les sépare. Mais il s’agit toujours de gérer de grands nombres. La notion d’entropie rejoint ainsi la morale qui est en fait ce que le plus grand nombre considère comme bon pour la société, à défaut de valoir toujours pour l’individu. Lorsque la démesure s’installe, lorsque la norme devient énorme et que nos capacités d’émotion sont prises de court, la seule ressource est de s’en remettre aux nombres. Loin de masquer le monde, les nombres et la statistique donnent à la réalité un caractère authentique.
Cet ouvrage est compact mais il se lit facilement par tranches tout aussi passionnantes les unes que les autres et cela dans n’importe quel ordre selon l’humeur du moment du lecteur.


Titre : The Cartel
Auteur : Don WINSLOW
Éditeur anglais : Arrow books Ltd (2015) 616 pp.
Éditeur français : Le Seuil, Paris (2016) 720 pp.
Lecteur : Jean-Claude GACHON

Ce livre est un roman policier et n’est pas déplacé au milieu de tous les ouvrages qui figurent déjà dans cette rubrique. En effet, il s’agit d’une pure fiction qui s’inspire de faits réels ayant pris place dans le Mexique des années 2004 à 2014. L’auteur prend le prétexte de la lutte d’un agent américain contre les trafics de drogue entre Mexique et États Unis au cours de cette période pour décrire des situations dont on ne peut pas vraiment, à la lecture, apprécier la vraisemblance, mais qui font naître un sentiment de malaise profond, tant elles sont cruelles, violentes et dépourvues de toute trace de respect de l’être humain. On voit la faillite de la police qui ne sort plus des commissariats lorsqu’on lui signale un (ou plusieurs) meurtre(s), de l’armée dont les membres voient leurs soldes complétées par des prébendes venant des trafiquants et par leurs propres exactions éventuellement, la corruption à tous les niveaux de l’état, les manœuvres des agences US pour essayer de limiter les dégâts en pactisant avec le diable momentanément le moins diabolique dans une collection de démons terrifiants et nombreux malgré des assassinats eux aussi nombreux.
Le livre est un "pavé" qui commence par une longue liste non exhaustive des journalistes tués au cours de la période couverte, simplement parce qu’ils avaient déplu à l’une ou l’autre des factions combattantes. Résumer le contenu est une tâche que je ne souhaite pas entreprendre, il est illusoire de "résumer" des rafales d’armes automatiques, des tirs de roquettes, des boucheries au couteau, des parties de barbecue où l’on frit des humains, avec étalage sur la place publique des morceaux des victimes. Ce livre vient alors que le président élu des USA prétendait lors de sa campagne électorale qu’il allait faire construire un mur continu entre le Mexique et son pays. La coïncidence est très probablement fortuite mais la lecture fait voir les propos du candidat à la Maison Blanche sous un jour différent même si on reste opposé à ce genre de solution. On se prend à comparer ce que conte "Le Cartel" à ce qui est rapporté des boucheries des guerres. Il n’y a pas vraiment de différence sinon le fait que les trafiquants de drogues sont pour la plupart des compatriotes qui se massacrent entre eux et massacrent la population de leur pays simplement pour la santé de leur bilan financier, de la leur et de celle de leurs proches.
NB1 : ce livre est la suite de "la griffe du chien" qui couvre la période avant 2004
NB2 : il a été lu par Jean-Claude GACHON dans sa version anglaise
NB2 : sa lecture déconseillée à de jeunes lecteurs en raison de la violence décrite
Titre : 1914-1915-1916-1917-1918
Auteur : Jean-Yves LE NAOUR
Éditeur : PERRIN (2012-2016) 350 à 380 pp.
Lecteur : Jean BRUN-BELLUT

Cette "anthologie" de la guerre de 1914 à 1918 est une série de 5 volumes écrits par un professeur, historien spécialiste de la grande guerre. A partir de nombreux documents de diverses origines (articles de journaux, comptes rendus de débats dans les parlements des différents belligérants, correspondances, mémoires), cet auteur nous présente les enchaînements qui ont conduit aux déclarations de guerre des différents pays. Il essaie d'expliquer pourquoi la crise de l'été 1914, pas plus forte que d’autres dans les années précédentes, a conduit à la guerre : "il ne faut pas y voir un engrenage de fatalités… en 1914, les puissances ont tout simplement assumé la guerre parce qu’elles ne croyaient plus en la possibilité de sauver la paix". Sans trop s'appesantir sur les batailles, l'auteur décrit, explique les relations difficiles entre les pouvoirs civils et militaires avec des évolutions différentes suivant les pays. En France et en Angleterre les pouvoirs civils arrivent à contrôler l'état major, alors qu'en Allemagne, la fin de la guerre voit la montée en puissance des militaires Hindenburg et Ludendorff qui gèrent de fait la politique de leur pays. La place et le rôle des différents dirigeants, et leur implication dans la politique menée au cours de ces années, sont présentés (surtout en France). L'évolution des sentiments des combattants et des populations de l'arrière est aussi commentée. L'auteur analyse les différentes tentatives de paix et les causes de leurs échecs.
Le texte est facile à lire, intéressant. Il m'a permis (moi qui ne suis pas historien) d'avoir une vision plus "réaliste" de cette guerre. En particulier, l'interaction entre le politique et le militaire ainsi que tous les problèmes liés à la conduite de la triple entente (relations entre les politiques et les militaires de France, du Royaume-Uni et des États-Unis d'Amérique).
Quelques expressions utilisées par l’auteur dépassent, me semble-t-il, le cadre d'une étude historique : "Cochon à l'engrais et totem national" (Hindenburg)... Malgré cela, c’est un bon apport d'informations qui permet de mieux comprendre l'évolution du XXème siècle.
Titre : L'équation de Kolmogoroff : Vie et mort de Wolfgang Doeblin, un génie dans la tourmente nazie
Auteur : Marc PETIT
Éditeur : Folio (2005) 448 pp.
Lecteur : Jean-Pierre MICHEL

Il s'était suicidé à vingt-cinq ans, le 21 juin 1940, voyant son bataillon encerclé par la Wehrmacht, pour ne pas tomber aux mains des nazis. Vincent Doblin, de son vrai nom Wolfgang Döblin - fils du célèbre romancier Alfred Döblin, mais aussi génie des mathématiques connu de quelques initiés -, avait pris soin de brûler ses papiers personnels, et adressé quelques mois auparavant à l'Académie des Sciences, sous pli cacheté, le texte inachevé d'un mémoire intitulé L'équation de Kolmogoroff. Ce pli mystérieux ne sera décacheté qu'en avril 2000, et personne ne se doute de ce qu'il contient : un chaînon manquant dans l'histoire des mathématiques contemporaines.
Sur les traces de Wolfgang, Marc Petit a enquêté en France et en Allemagne pour ressusciter l'émouvante histoire de cet homme d'exception, et se faisant, évoque la figure du père, un des plus grands et des plus singuliers écrivains du XXe siècle. À travers cet extraordinaire parcours croisé de deux êtres apparemment aussi différents que distants, c'est toute l'histoire des intellectuels et savants juifs d'Allemagne et d'Europe centrale qui se déploie sous nos yeux.
Vincent Döblin a été enterré à Housseras, près de Rambervillers. Ses parents l'y ont rejoint en 1957. La tombe est située en haut de la partie gauche du cimetière. Elle ne présente pas d'intérêt particulier sinon qu'elle renferme un grand écrivain, un génie mathématique et qu'elle donne à réfléchir.
Titre : L'impossible dialogue - Sciences et religions
Auteur : Yves GINGRAS
Éditeur : Presses Universitaires de France (2016) 127 pp.
Auditeur : Jean-Pierre MICHEL

Le 5 mars 1616, un décret de la Congrégation de l’Index annonçait officiellement la condamnation des idées de Copernic sur le mouvement de la Terre. Cette censure ecclésiastique est devenue l’emblème d’une négation de l’autonomie de la recherche scientifique par les dogmes religieux. Aujourd'hui, la question des relations entre sciences et religions et des appels au "dialogue" entre ces deux domaines pourtant si éloignés par leurs objets et leurs méthodes refait surface. Le thème du conflit a dominé les débats qui ont opposé depuis le XVIIe siècle les savants aux autorités religieuses sur des questions d’astronomie, de géologie, d’histoire naturelle ou sur l’origine de l’homme et des religions. Cet essai prend le contre-pied du courant actuellement dominant chez les historiens des sciences qui minimise les conflits les plus connus entre sciences et religions et propose une version œcuménique et édulcorée de l’histoire des rapports entre deux institutions, dont chacune tente d’imposer sa vision du monde, l’une fondée sur la nature, l’autre sur le surnaturel.
Cet ouvrage n'existant pas en livre audio, j'ai écouté l' interview d'Yves Gingras sur son livre par Etienne Klein dans son émission " La conversation scientifique" du samedi à 14h00 sur France culture (émission du 03/09/2016, réécoutable, podcastable...). Pour lui, la Science et la Religion sont deux droites parallèles qui ne peuvent donc se rencontrer . Notre collègue Gérard Scacchi avait abordé le problème dans son séminaire et donné un avis similaire. Le talent de Gingras, son enthousiasme et son accent québécois sont un régal.
Titre : Le roman d'un guérisseur
Auteur : François MATH
Éditeur : Ex Aequo (2016) 266 pp.
Lecteur : Christian G'SELL

Inspirée de l'histoire réelle d'un ancêtre de l'auteur, l'action se situe au 19ème siècle, après l'effondrement du premier Empire. Le roman raconte l'exode de Rudolf, tailleur de pierre encore jeune mais déjà très expérimenté, qui est contraint de quitter le Vorarlberg où le travail commence à manquer en raison des guerres qui ont ravagé la région. Son but est d'atteindre la Franche-Comté où vivent des cousins éloignés, d'après ce qu'on lui a dit. Il espère obtenir l'asile de la France, commencer une nouvelle vie professionnelle et fonder un foyer pour peu qu'il rencontre la femme de sa vie. C'est un homme pauvre, mais plein de ressources personnelles dont il a hérité de ses ancêtres. À leur contact, il a appris à détecter les moindres défauts dans les pierres dures, mais aussi la plupart des affections du corps humain. Il sait préparer les potions naturelles qui guérissent les maladies et pratiquer les gestes qui sauvent les blessés. Avec son père, il a souvent mis bénévolement ce talent de "guérisseur" au service de la population de son village retiré des montagnes autrichiennes lorsque la neige de l'hiver en bloquait l'accès pour les médecins de la vallée. Au cours de sa pérégrination, Rudolf fait preuve d'un courage hors-normes et d'une confiance quelque peu naïve dans sa bonne étoile, mais se heurte à toutes sortes de personnages malfaisants, ainsi qu'aux tracasseries incompréhensibles de l'administration française. Toutefois, avec l'aide d'un ami atypique rencontré en chemin, il réussit à surmonter les pièges qui lui sont tendus et parvenir aux abords du village comtois de Magny-Vernois où il est sensé retrouver sa parenté… ce que l'on découvrira dans un autre roman à venir. Une fois de plus, nous découvrons sous la plume de François MATH un récit passionnant qui révèle son imagination foisonnante. Quoiqu'un peu trop linéaire à mon goût, l'histoire de son ancêtre guérisseur est riche en informations sur une période trouble de l'histoire européenne qui marque les prémices des temps modernes. De plus, comme dans ses ouvrages précédents, ce roman décortique avec finesse les méandres de l'esprit humain, révélant à la fois les pires turpitudes et les élans de générosité.
Titre : Eats shoots and leaves
Sous-titre : The zero tolerance approach to punctuation
Auteure : Lynne TRUSS
Éditeur : Profile Books, London (1ère édition : 2003) 228 pp.
Lecteur : Jean-Claude GACHON

C'est un livre qui traite de la ponctuation de la langue anglaise, mais dont beaucoup de traits peuvent aussi s'appliquer au français. L'auteure est connue par ses livres humoristiques et celui-ci ne déroge pas. Le titre prend, suivant qu'il est ponctué ou non, deux sens très différents : c'est un panda qui mange des jeunes pousses et des feuilles (eats shoots and leaves) ou qui mange, tire (avec une arme à feu) et s'en va (eatsshoots and leaves). L'ensemble des signes et des problèmes de ponctuation est abordé, ainsi que l'emploi des italiques. Tout est traité de façon humoristique, ce qui n’empêche pas le texte d'être solide et de se référer à des ouvrages sérieux. Il est donc très recommandable à tous les linguistes qui s'intéressent à l'anglais, mais d'autres peuvent aussi le lire et y prendre beaucoup de plaisir, surtout s'ils sont sensibles à l'humour anglais. Compte tenu de ce que l'auteure manifeste comme allergie vis à vis des fautes de ponctuation, on attend de trouver un livre d'elle traitant de la langue SMS...
Titre : Le Monde est clos et le désir infini
Auteur : Daniel COHEN
Éditeur : Albin Michel (2015) 217 pp.
Lecteur : Christian G'SELL

Directeur du département d'économie de l'École Normale Supérieure, Daniel Cohen s'intéresse depuis une dizaine d'années aux facteurs qui contrôlent l'évolution du monde. Cet essai s'appuie sur une compilation très rigoureuse de la littérature concernant l'histoire des civilisations, les facteurs démographiques, les influences écologiques, les relations entre les classes sociales, le partage du travail et l'organisation politique. Bien que le début de l'ouvrage remonte aux migrations de l'homo sapiens dans les divers continents et à sa créativité dans les domaines agricoles, artisanaux et technologiques, l'analyse s'intéresse plus spécialement à la société postindustrielle dans laquelle nous vivons aujourd'hui avec les difficultés que nous connaissons depuis la fin des "trente glorieuses".
D'après l'auteur, les pays occidentaux sont convaincus que la croissance économique est le moteur essentiel du progrès et du bonheur de l'humanité. Or, malgré leurs études, les spécialistes sont dans l'incapacité de prédire l'avenir à plus de 10 ans, de sorte que l'incertitude qui en résulte nous "condamne à la colère et à la violence". Chacune des classes sociales cherche à se protéger par un système d'endogamie qui l'empêche de rencontrer les autres, à la différence des périodes plus anciennes où, malgré leurs inégalités, riches et pauvres suivaient des chemins qui se croisaient par nécessité, ce qui assurait une certaine forme de cohésion sociale.
La croissance matérielle apparaît maintenant comme la seule voie envisagée dans la recherche d'un monde meilleur. En fait, il s'agit là d'une illusion car la véritable solution est de chercher à "faire mieux plutôt que d'avoir plus". L'amélioration des relations entre les individus devrait prendre le pas sur la l'envie de pouvoir et de richesse. Des civilisations entières, il y a des siècles, ont déjà été rayées de la surface du monde pour ne pas avoir compris cela et ne pas avoir cessé d'épuiser les ressources de leur environnement et/ou de construire des systèmes sociétaux fondés sur l'accaparement des biens par des castes dominantes. A contrario, certains pays plus sages ont veillé à favoriser des relations confiantes des citoyens avec leurs semblables et leurs institutions. Ces principes favorisent la confiance en soi-même et les réflexes d'entraide, mais aussi le rejet de la corruption et de la violence. En conséquence, chacun ressent une plus grande satisfaction dans son travail et contribue au développement plus dynamique de son entreprise.
Même si ce raccourci des thèses exposées peut sembler idéaliste à première vue, l'auteur étaie ses arguments sur des faits indiscutables et des projections très réalistes. L'ouvrage est d'une clarté exceptionnelle et pose des questions qui ne peuvent nous laisser indifférents.
Titre : Carnets de thèse
Auteure : Tiphaine RIVIÈRE
Éditeur : Seuil (2015) 179 pp.
Lecteur : Jean-Pierre MICHEL

Quand une jeune enseignante quitte son collège de ZEP pour se lancer, euphorique, dans une thèse, elle n’imagine pas le chemin de croix sur lequel elle s’engage…
Autour de Jeanne défile l’univers des thésards : le directeur de recherche charismatique, expert dans l’art d’esquiver les doctorants qui attendent fébrilement la lecture de leurs pavés ; la secrétaire usant de toute l’étendue de son pouvoir d’inertie dans le traitement des dossiers dont on l’accable ; les colloques soporifiques où sont livrés en pâture les aspirants chercheurs ; les amphis bondés de première année devant lesquels ils s’aguerrissent en étrennant des cours laborieux payés au semestre et dont ils recueillent les fruits dans des copies désarmantes de candeur ; la jungle de la compétition académique et le dénuement d’une université malmenée ; la famille et les amis qui n’y comprennent rien ; l’infortuné compagnon endurant par procuration le calvaire de cette thèse qui n’en finit pas…
À la manière d’un récit d’apprentissage, avec drôlerie et finesse, ce roman graphique raconte le quotidien de doctorants qu’on compte aujourd’hui en France par dizaines de milliers et qui, comme Jeanne, poursuivent leur recherche comme une quête existentielle. Vous en connaissez forcément. Après avoir lu ce livre, vous ne leur demanderez plus : "Alors, cette thèse ?"
Le trait de cette BD est un peu forcé ; quoique...
Titre : Des mots sur des maux
Sous-titre : Appel à la Paix.
Auteurs : COLLECTIF d'élèves du Lycée Jacques Callot de Vandoeuvre.
Éditeur : Kaïros (2015, ISBN 979-10-92726-11-4) 46 pp.
Lecteur : Daniel TONDEUR

À l’occasion du "Livre sur la Place", j'ai découvert au stand des Editions Kaïros ce petit livre de poèmes. Sa particularité est de réunir des poèmes composés par des élèves des classes de 6ème à 3ème du collège Jacques Callot de Vandœuvre, au cours d’ateliers d’écriture organisés par l’équipe éducative du collège (action initiée dans le cadre du "Printemps des Poètes"). Les thèmes proposés portaient sur l’engagement, la liberté, Charlie. Ce livre, ces poèmes, la façon dont ils ont été élaborés, ont provoqué chez moi un flash d’optimisme, un coup de confiance dans l’avenir (je ne parle pas ici du mien), un accès de foi en l’humanité, une libération d’endorphines, bref, une émotion comme je n’en avais pas connus depuis un moment. Il faut aussi saluer l’engagement et l’acte de foi des enseignants qui ont animé cette aventure. Le résultat a sans doute été leur plus belle récompense. Je ne résiste pas à l’envie de vous livrer au moins l’un de ces textes (avec l’autorisation de Kaïros).

Syrien était tout ?
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J’ai vu la détresse dans leurs regards terrifiés
J’ai vu le spectre de la mort passer les prendre par milliers
J’ai vu Alep, Damas, la violence et la destruction
J’ai vu leurs dangereuses embarcations
Voguer vers la plus meurtrière des destinations.
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Vous ne voyez pourtant en eux que des immigrés
Sans penser qu’un jour les bombes les chasseraient
De leur pays à jamais
Pour votre propre confort, vous oubliez votre humanité
Pour ma part, je ne les laisserai pas se noyer.
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Selma Rassoul (3ème)

Titre : Livre blanc de la recherche mécanique
Sous-titre : Enjeux industriels et sociétaux ; recherche, innovation, formation.
Auteurs : Michel LEBOUCHÉ et al.
Éditeur : Association Française de Mécanique, Ecpsciences (2015) 260 pp.
Lecteur : Gérard BECK

Il est de bon ton de déclarer que l’industrie française est en déclin et même en voie partielle de disparition. Cet ouvrage prend le contre-pied d’une idée reçue en montrant la vitalité de la recherche, du développement et des capacités d’innovation d’un de secteurs industriels les plus importants, celui de la mécanique. Le très bon niveau de son système de formation procure en outre un gage d'innovation et de pérennité. Les industries mécaniques sont en effet un des fleurons de l’activité industrielle en termes d’emplois et de compétences scientifiques et techniques. L’Association Française de Mécanique  a demandé au Haut Comité pour la Mécanique, présidé par notre collègue Michel LEBOUCHÉ, de préparer  ce livre blanc afin de faire le point sur l’état des lieux en France, en prenant en compte les domaines voisins que sont surtout la science des matériaux, mais aussi la physique, les sciences de l’information, etc…
Un collectif de 114 auteurs s’est mis à la tâche pour écrire ce livre blanc, document très complet qui fait le point  en quatre grands chapitres. Partant d’un large panorama français et international, il présente les enjeux industriels des différents secteurs que sont les transports, l’énergie, la santé et l’environnement. Les défis scientifiques à relever pour concevoir et produire autrement sont clairement analysés, conduisant à des orientations de recherche pour initier des technologies qui apportent de la compétitivité tout en respectant les milieux naturels dont les ressources sont limitées et doivent être préservées .
Cet ouvrage intéresse en France 40% de l’industrie. Avec ses 1 200 000 emplois, sachant qu’un emploi industriel en génère 3 hors industrie, on se trouve devant un des défis essentiels pour assurer  l’avenir des jeunes générations.

Titre : Comprendre la violence des enfants
Sous-titre : L'apport des neurosciences
Auteurs : François MATH et Didier DESOR, 
avec la collaboration de Pierrette WITKOSKI
Éditeur : Dunod ; collection "Enfances" (2015) 246 pp. avec références
Lecteur : Christian G'SELL

Il ne fallait pas moins de trois médecins scientifiques pour analyser ce sujet difficile de la violence des enfants : un neurologue, un comportementaliste et une pédopsychiatre. Avec un tel panel, on pouvait s'attendre à être perdu dans un texte savant. Eh bien, ce n'est pas le cas ! En faisant quelques impasses sur des notions pointues concernant le fonctionnement cérébral, le lecteur néophyte (mais curieux) que je suis s'est laissé prendre par les faits, les explications et les commentaires que cet ouvrage décline en abordant le sujet par différents points de vue.
Dans une première partie, les auteurs s'attachent à définir les comportements de base (pulsion, domination, menace, agressivité, violence, etc.) qui ont toujours existé sur notre Terre, que ce soit parmi les poissons, les insectes, les oiseaux, les mammifères et… les hommes. Ainsi donc, point n'est besoin d'attacher des notions morales à des actes qui résultent souvent de nécessités vitales, de traditions ancestrales ou de pratiques de groupe. Et pourtant, la société ne peut rester insensible à des violences qui nous révulsent particulièrement quand elles sont le fait d'adolescents, voire de jeunes enfants.
Dans la seconde partie du livre, c'est le fonctionnement intime du cerveau humain qui est décortiqué. Du gène au lobe cérébral, notre "ordinateur biologique" est une structure incroyablement complexe dont les chercheurs commencent tout juste à  comprendre le fonctionnement au fur et à mesure que les expériences in-situ sous IRM révèlent les processus hormonaux, chimiques et électriques qui conduisent à des actes que l'on attribuait autrefois à des sorts maléfiques…
Comme le montre la troisième partie, la violence est souvent le résultat d'imitations ou d'addictions. Quand on s'intéresse de près à ce qui concerne les enfants, on s'aperçoit le plus souvent (pour autant que les tabous sociaux puissent être levés) que ce sont eux les premiers qui sont exposés à différentes formes de violence. Nul ne peut nier aujourd'hui la souffrance muette des plus jeunes qui se retrouvent exposés à des spectacles virtuels insupportables où la mort n'est qu'un jeu, mais qui laissent une empreinte irréversible dans leur cerveau. Alors, que dire des violences réelles auxquelles les enfants en bas âge assistent dans le cercle familial où les parents et les aînés vivent un conflit permanent où les coups sont monnaie courante ? Comment imaginer également que les enfants ne soient pas traumatisés quand ceux-là même qui ont en charge leur éducation leur font subir des actes de pédophilie que leurs proches taisaient souvent de peur de subit l'opprobre publique. Comme l'ont montré des expériences universitaires, nul n'est à l'abri de déviances et un individu "ordinaire" peut se transformer en bourreau s'il est soumis à un environnement psychologique dominant ou à un système social totalitaire. Les enfants eux aussi, qui sont souvent témoins de la violence qui règne au sein de leur "clan", deviennent facilement les acteurs de délits ou de crimes.
Tout en expliquant les faits avec des arguments objectifs, cet exposé remarquable nous dérange "quelque part" car il met en lumière des relations causales que nous aimerions parfois occulter. Quel dommage que l'orthographe et la typographie de l'ouvrage soit aussi déplorable !
Titre : Le rêve d'Euclide
Sous-titre : Promenades en géométrie hyperbolique
Auteur : Maurice MARGENSTERN
Éditeur : Le Pommier. Collection Impromptus ! (2015) 240 pp.
Lecteur : René SCHOTT

Il y a plusieurs niveaux de lecture possible de ce livre suivant le niveau de votre formation en mathématiques, votre goût pour l'histoire des sciences ou votre intérêt pour les belles images ! Vous ferez connaissance avec les pères fondateurs de la géométrie hyperbolique : N.I. Lobatchevsky et J. Bolyai.  Au passage, vous apprendrez des choses sur le rôle joué par le nancéien H. Poincaré dans la reconnaissance de cette nouvelle géométrie, le poids de la tradition et le manque d'ouverture de la société de leur époque. L'auteur montre aussi, exemples à l'appui, que l'influence de la société d'aujourd'hui sur les scientifiques est (au moins) aussi forte que celle de la société des inventeurs de la géométrie hyperbolique ! J'arrête ici ces propos fort sérieux et je vous propose de faire comme Léa, 7 ans, la petite-fille de l'auteur : voyant son papy dessiner de très belles images à l'écran de son ordinateur (en utilisant la géométrie hyperbolique), elle lui a demandé de les imprimer. Léa a rangé soigneusement ces dessins dans des classeurs ! Vous découvrirez une partie de ces dessins dans le chapitre 1 de ce livre dont le prix est très modeste.
Titre : An officer and a spy
Auteur : Robert HARRIS
Éditeur : Hutchinson (2013), 496 pp.
Lecteur : Jean-Claude GACHON

Un livre de plus consacré à l'affaire Dreyfus... Ici, l'auteur se glisse dans le personnage de Georges Piquart, un des acteurs principaux, dont le sort bien que moins dramatique que celui de Dreyfus, ne fut pas toujours enviable. L'exercice peut sembler périlleux, mais aucun des protagonistes ne peut maintenant protester, le temps ayant fait disparaître tous ceux qui ont été mêlés à ce qui apparaît dans le livre comme, essentiellement, une conspiration antisémite. D'autres pistes cependant sont évoquées, un général aurait ambitionné de devenir président de la République, un colonel n'aurait pas supporté de se voir "chiper" une jolie femme, un espion français renseignant les allemands aurait été protégé et pour pimenter le tout l'homosexualité de deux membres d'ambassades différentes à Paris interférait peut-être. Le livre se lit sans effort, le George Piquart campé par Harris est vraisemblable et les tourments qu'il dans le livre sont tout à fait plausibles, les décisions disciplinaires le concernant sont vérifiables. L'affaire elle-même est célèbre sinon vraiment connue et l'auteur se réfère à des ouvrages antérieurs au sien, qu'il cite. On peut donc espérer que les faits historiques soient respectés. Pour tous ceux qui souhaitent avoir une vue d'ensemble sur ce sujet, le livre fera passer un (long) moment passionnant.
Titre : All Hell let loose
Auteur : Max HASTINGS
Éditeur : Harper Press (2012), 768 pp.
Lecteur : Jean-Claude GACHON

Il s'agit de la seconde guerre mondiale vue par un historien britannique. Après avoir lu un très grand nombre de livres d'auteurs français à propos de cette période, j'ai eu envie de découvrir un point de vue différent et je n'ai pas été déçu. L'ouvrage, un pavé, reste cependant très agréable à lire, avec pour les spécialistes une bibliographie et des notes qui le complètent. Le point de vue de Max Hastings diffère quelque peu de l'histoire « officielle » telle qu'on la connaît en France. Il considère par exemple Mac Arthur comme plus doué pour l'autopromotion que pour la stratégie militaire, compare les généraux alliés aux généraux allemands en faisant remarquer que ces derniers, devant les limitations qu’ils subissaient tant en matériel qu'en hommes, faisaient preuve d'esprit stratégique tandis que les autres se contentaient de jeter des forces dans les batailles. Les considérations relatives à l'hygiène des combattants dans la jungle (et ailleurs) sont suffisamment détaillées pour qu'il n'y ait aucune ambiguïté, sans fausse pudeur. Enfin les photos qui illustrent l'édition dont je dispose complètent le texte en procédant du même état d'esprit de recherche de la vérité sans souci de bienséance. On trouve par exemple, page de gauche une jolie jeune femme française qui se fait courtiser par un occupant, pendant que page de droite un malheureux se fait exécuter au bord d'une fosse commune, ou encore un repas de Thanksgiving chez des bourgeois américains en 1942 opposé à un assiégé de Stalingrad avec sa ration de pain. Le ton général de l'ouvrage est très bien donné par ces juxtapositions de photos. C'est à lire, de préférence en anglais, pour tous ceux que l'histoire intéresse et qui ne connaissent encore pas les écrits d'Hastings.
Titre : Bergdorf Blondes
Auteur : Plum SYKES
Éditeur : Miramax (2007), 384 pp.
Lecteur : Jean-Claude GACHON

Un livre (paru en 2004 et acheté d'occasion) qui permet de s'égayer un peu l'humeur. L'auteure, une brunette rédactrice de mode à Vogue (USA), trace un portrait à la fois souriant et ironique mais aussi très détaillé et documenté des jolies jeunes milliardaires blondes de New York et de leur vie aussi superficielle que stressante. Ce livre peut vous faire passer un moment agréable et enrichira votre palette de métaphores, circonlocutions et acronymes. Connaissez-vous la différence entre "revenir d'Arizona" et "voyager au Brésil" ?
Titre : En pleine figure
Sous-titre : Haïkus de la guerre de 14-18 
Anthologie établie par : Dominique CHIPOT
Éditeur : Bruno Doucet (2013), 176 pp.
Lecteur : Jean-Pierre MICHEL

L'art du haïku est originaire du Japon. Durant la première guerre mondiale, de jeunes poètes français qui avaient rendez-vous avec la mort, se sont livrés à cet art de l'esquisse, saisissant un tableau en trois coups de brosse (en fait trois ou quatre vers de quelques mots chacun).Ce sont, aujourd'hui des soldats-poètes méconnus, voire inconnus.
Ce livre est bien adapté aux mal-voyants. Il est aussi conseillé aux voyants paresseux ou pressés. Deux exemples qui m'ont particulièrement "parlé" :
Un trou d'obus... Dans son eau... A gardé tout le ciel
Mes amis sont morts... Je m'en suis fait d'autres... Pardon...
Titre : La juive et le bolchevik
Auteur : François MATH
Éditeur : Edition des Paraiges (2014), 177 pp.
Lecteur : Christian G'SELL


Germaine retrace dans ce livre les étapes de sa vie, heureuses et dramatiques. Elle nait en 1915 dans une famille juive d'Épinal. Ses parents sont propriétaires d'un magasin de chaussures. En 1935, quand commence le récit, elle habite en région parisienne où elle travaille comme vendeuse dans un magasin Bata, fidèle à la tradition familiale. Quant à Jeanne, sa sœur ainée de trois ans, elle est employée dans un cabinet d'avocats parisiens. Une réelle complicité s'est nouée entre ces deux jeunes femmes. Dans leurs moments de liberté, elles se retrouvent en ville, souvent invitées par de jeunes hommes plutôt chics qui leur font une cour assidue. Lors d'une sortie avec une bande de copains, Germaine rencontre Jean, ingénieur diplômé de l'Ecole Nationale Supérieure des PTT, et une réelle attraction s'établit entre eux. Jean est également originaire de l'Est de la France, plus précisément d'une famille de Rosières-aux-Salines. Son père, vétéran de la grande guerre, partage son temps entre une fonction de secrétaire de mairie et des activités bénévoles de guérisseur à la plus grande satisfaction de la population locale. Germaine et Jean vivent cette année-là une période de bonheur, de tendresse et d'insouciance. Pourtant, tout pourrait les séparer ! Germaine est juive, bien que libérée des préceptes rigides inculqués par ses parents. Jean a été éduqué dans la foi catholique mais s'en est éloigné carrément en devenant un communiste militant que ses amis traitent souvent de "bolchévik". Mais qu'importe ! Quand on est jeune et qu'on a le sang chaud, on a d'autres centres d'intérêt que la religion et la politique... Tant et si bien que Germaine et Jean se marient en 1936 : leurs parents devront se faire une raison et accepter ce mariage bien décalé par rapport à leurs traditions familiales. Heureusement, Paris n'est pas tout près de la Lorraine et tout se passe bien… au moins pendant un temps.
Le climat social devient critique en France avec un antisémitisme qui se développe partout dans le pays, et les relations internationales sont de plus en plus tendues. Tout cela ne fait que dégrader les relations du couple, chacun reprochant à l'autre sa religion ou ses engagements politiques. Et toujours pas d'enfant… Le couple finit par se séparer. Germaine vient à Nancy où un meilleur poste lui est offert dans un autre magasin de la même marque. Quant à Jean, il reste aux PTT à Paris. Et puis en 1939, la guerre est déclarée à l'Allemagne. C'est la "drôle de guerre" qui se termine rapidement par l'occupation d'une grande partie du territoire. Réfugié à Vichy, le gouvernement tergiverse et finit par collaborer. Il se laisse imposer des lois scélérates décrétant le fichage des juifs et la chasse aux bolchéviks. Cette situation épouvantable a l'effet inattendu de rapprocher Germaine et Jean qui ressentent avec douleur la menace qui pèse sur eux. Chacun a besoin de l'autre pour trouver un peu de réconfort. Ils reprennent contact. Jean obtient sa mutation au central téléphonique de Nancy et le couple se reconstitue, non sans appréhension. Sur chacun d'eux pèse la menace sournoise et permanente de l'occupant. C'est alors que Jean s'engage dans une résistance active contre les "boches", en liaison avec ses camarades du Parti. Il connait par cœur le réseau téléphonique de l'Est et monte des actions de sabotage insensées, risquant sa vie à chaque opération. L'amour de Germaine pour son mari se transforme progressivement en une grande admiration pour son courage, même s'il essaie de la protéger en lui cachant autant qu'il peut son combat secret. Le sort s'acharne contre la famille de Germaine. Sa sœur Jeanne est prise dans une rafle, identifiée comme juive et incarcérée au fort d'Écrouves où elle passe plus d'un an, transférée à Drancy et finalement conduite à la mort dans un camp de concentration. Elle laisse trois fillettes orphelines car le jeune avocat américain qu'elle avait épousé est retourné dans son pays quand la guerre a éclaté, de peur que son union avec une juive ne lui cause des problèmes.
Voyant la situation, Jean "enlève" Germaine et ses nièces car la police est maintenant partout et le danger permanent. Il les cache à Rosières-aux-Salines, chez ses parents qui les hébergent au nez et à la barbe de la police collaborationniste. C'est pendant cette période que Germaine ressent un grand changement dans son corps. Enfin ! Elle attend un bébé, et plus rien d'autre ne compte pour elle. Pourtant ce bonheur n'est que de courte durée. Jean et ses parents jugent la situation trop dangereuse. Une femme et trois fillettes, çà ne peut rester longtemps inaperçu malgré l'estime que la population locale porte au père de Jean. On décide donc d'exfiltrer Germaine le plus vite possible, tandis que les petites restent à Rosières. C'est avec une voiture de service des PTT que Jean emmène sa femme vers le sud avec la complicité de tout un réseau de collègues ligués contre les allemands. Au terme d'un voyage épouvantable, le couple arrive enfin à Cannes où la situation est relativement moins périlleuse qu'en Lorraine, mais toutefois bien incertaine pour une jeune femme enceinte munie de faux papiers attestant qu'elle est une "bonne catholique" ! En effet les allemands ont depuis quelques mois franchi la ligne de démarcation et occupent maintenant toute la "zone libre". Une nouvelle séparation qui attend donc le couple, car Jean veut absolument remonter à Nancy où l'attendent son poste d'ingénieur et ses activités subversives avec les résistants communistes de l'établissement.
À Cannes, Germaine se trouve une nouvelle place de vendeuse dans un magasin de chaussures. C'est dans ces conditions qu'elle met au monde son fils François le 30 décembre 1943. Ce bonheur est tempéré par la peur permanente d'une dénonciation. Il faut se méfier de tout le monde. Elle rêve encore de retrouver un jour sa sœur, mais son espoir s'amenuise avec le temps. Quant à Jean, il parvient tout juste à lui faire passer un message de temps en temps, mais rien ne vaut une véritable présence. Les mois passent… avec ce petit qu'elle a fait baptiser pour le protéger des persécutions nazies qui sont organisées de plus en plus minutieusement contre les juifs. Germaine est brisée par la solitude et par sa responsabilité vis-à-vis de ce petit être qu'elle protège autant qu'elle peut, souvent cachée dans une cave d'immeuble. Enfin en avril 1944, elle entend au loin les détonations qui marquent les combats du débarquement allié sur la côte méditerranéenne, jusqu'à ce qu'elle voie de ses yeux les soldats français et américains défiler dans les rues de la ville. C'est la libération de ce coin de France. Germaine vit l'événement avec des sentiments mitigés : l'éloignement de son mari la perturbe, et en même temps elle a un immense besoin de tendresse, refoulé depuis trois longues années. Bien que l'armistice soit maintenant déclaré, elle se demande si elle doit ou non revenir à Nancy. Pourquoi ? Pour qui ? Dans sa tête, l'image de Jean est maintenant plus celle du résistant que celle de l'amant auquel elle était si attachée autrefois. Elle en vient à craindre de le revoir…
Tout au long de cette lecture, je n'ai pu m'empêcher de penser à mon collègue François MATH, à sa bonne tête ronde, à ses cheveux frisés et à ses yeux malins. Avant de dévorer son livre, je savais déjà qu'il avait hérité de son grand-père de Rosières une sympathie affectueuse pour ses semblables et une passion pour sauver des vies. De plus, au fil des pages, j'ai découvert combien la rigueur professionnelle de Jean et son engagement politique ont forgé une intelligence scientifique si acérée. Par dessus tout, j'ai réalisé dans ce récit combien sa mère, qu'il décrit avec admiration et réalisme tout à la fois, a su lui transmettre sa force vitale, son esprit critique, sa curiosité insatiable et sa créativité sensuelle. C'est tout que j'aime chez lui, que ce soit au travers des séminaires de recherche qu'il nous a présentés au sein du groupe des Émérites ou des œuvres de granit qu'il nous a fait découvrir dans son repère vosgien. 
Titre : Dictionnaire amoureux de la Science
Auteur : Claude ALLÈGRE 
Éditeur : Plon-Fayard (2005), 1020 pp.
Lecteur : Armand HADNI


C'est effectivement un Dictionnaire et bien à jour pour traiter des dernières avancées de la Science et de la Technologie: Matière et Energie noires, projet ITER... Il prend position sur tous les problèmes que la Science ne manque pas de poser aujourd'hui, mais avec une modération qui ne lui était pas habituelle, par exemple contre le projet ITER à Cadarache, trop couteux selon lui pour des chances de réussite assez faibles vu le nombre de problèmes nouveaux que l'on découvre. Le dictionnaire se lit comme un roman écrit pour les scientifiques que nous sommes et souvent avec des conseils pleins d'amitié.
Par exemple page 258: " Je dis souvent à des jeunes qui veulent s'engager dans cette voie (la recherche): si vous êtes fragiles psychologiquement, si vous ne résistez pas au stress, à la jalousie des autres, ne faites pas ce métier, vous serez malheureux!" .
Il cite de nombreux collègues disparus que nous avons eu la chance parfois de connaître de très près, et avec des anecdotes souvent inédites.

A lire sans modération!
Titre : Alterscience
Sous-titre : Postures, dogmes, idéologies 
Auteur : Alexandre MOATTI
Éditeur : Odile Jacob (2013), 330 pp.
Lecteur : Daniel TONDEUR

Alexandre Moatti est chercheur associé en histoire des sciences et des idées à l’Université Paris-VII-Denis-Diderot. La Terre ne tournerait pas mais serait le centre de l’Univers. L’Homme ne serait pas le résultat d’une évolution Darwinienne. La relativité selon Einstein serait une escroquerie. Copernic, Galilée, Newton, Darwin, Einstein, voici quelques-unes des cibles préférées des "alter-scientifiques", ceux qui ont choisi de rejeter tout ou partie de la science contemporaine, parfois au profit de théories pseudo-scientifiques. Ou encore ceux qui instrumentalisent la science à des fins idéologiques, politiques, ou religieuses… Paradoxalement, ces attitudes sont souvent le fait de personnes ayant une solide formation scientifique. Comment en sont-elles arrivées là ? Qu’y-a-t-il de commun entre ces différentes attitudes ? Sont-elles reliées par un fil historique depuis la naissance de la science moderne ?
L’histoire que nous raconte Moatti retrace, à travers l'évolution de la pensée scientifique contemporaine, le développement de cette anti-science ou alter-science, qui se caractérise souvent par une victimisation et une forte virulence contre ceux qu’elle accuse de sectarisme, d’accaparement et de pensée unique. L’auteur prend grand soin de distinguer cette démarche de celle du doute et de la critique scientifiques légitimes, et aussi de celle qui rejette non pas la science, mais son instrumentalisation au service des pouvoirs.
La lecture de ce livre nous éclaire par exemple sur l’évolution de la pensée créationniste, qui refuse à la fois l’évolution de l’homme et la relativité selon Einstein au motif d’incompatibilité avec les desseins de Dieu, mais qui pourtant dans ses versions les plus modernes (Intelligent Design) essaie de récupérer, d’arranger ses théories à l’appui de leur vision. Ainsi l'évolution des animaux est-elle acceptée, et la relativité est-elle détournée de façon à concilier l’histoire scientifique de l’Univers en milliards d’années et sa création en six jours (en faisant varier la vitesse d’écoulement du temps !).
Un chapitre est consacré aux ingénieurs anti-relativistes. Parmi ceux-ci des polytechniciens, centraliens et Mineurs français sont particulièrement actifs, surtout dans les années d’avant la seconde guerre mondiale, quand la relativité n’était pas encore "acclimatée" dans les esprits (Moatti compare d’ailleurs cette situation à celle d'aujourd’hui à l’égard du changement climatique).
Après la guerre, alors que la communauté physicienne se rallie massivement à la relativité,  ce mouvement se prolonge jusque dans les années 1980 par le Cercle de Physique A. Dufour, qui s’attaque aussi à la physique quantique. On y trouve des noms comme René-Louis Vallée, tenant de la théorie de l’énergie du Vide et de la synergétique, et… Maurice Allais, prix Nobel d’économie !
Un chapitre est consacré à l’affaire dite des "avions renifleurs", une des plus grandes escroqueries scientifiques, dont fut victime la Société Nationale Elf-Aquitaine à la fin des années 1970 (le scandale ne fut dévoilé qu’au début des années 1980). L’auteur décrit d’une manière savoureuse comment une pléiade d’énarques et polytechniciens ont pu être menés en bateau pendant plusieurs années par deux physiciens amateurs, avant qu’un ministre n'exige que soit consulté un véritable expert indépendant.
Moatti nous convie également à comprendre l’instrumentalisation de la science au service du nationalisme allemand ou de l’idéologie soviétique. Dans cette zoologie, on trouve aussi des versions modernes de ce que Moatti appelle le "techno-fascisme", une idéologie suivant laquelle l’avenir de l’homme serait assuré par une technologie sans limites (tout nucléaire, conquête d’autres planètes, etc.), vis-à-vis de laquelle les écologistes sont perçus comme les ennemis, et les tenants de la science officielle comme des freins.
Mes impressions :
- Ce livre est extrêmement bien documenté et se lit aisément par morceaux, sans qu’il soit nécessaire d’être un scientifique, bien que cela aide évidemment à mieux comprendre les batailles et les enjeux. Par certains côtés, il est inquiétant, tant il montre que la manipulation est possible, que les puissants peuvent mettre la science au service de leur pouvoir, que le triomphe de la "vérité" peut être un long combat, pas gagné d’avance, peut-être jamais gagné.
- La démarche du livre fait preuve à mon avis d’un certain parti pris à travers ses exemples, même s’ils sont indiscutables. Les promoteurs de résultats et théories aujourd’hui indiscutées n’ont-ils pas parfois été des contestataires de mauvaise foi ? La frontière entre la mise en cause légitime de résultats de la science  "officielle" et la démarche dénoncée ici est-elle toujours si claire ?
- Par ailleurs, il existe des alter-scientifiques dans bien d’autres domaines, qui ne sont pas évoqués ici. Par exemple, en mathématiques, les quadrateurs de cercle, qui refusent la notion de nombre irrationnel, et cherchent toujours la "dernière" décimale de Pi ; ou bien en thermodynamique et mécanique, les violateurs du second principe, toujours à la recherche du mouvement perpétuel. La situation des climato-négationnistes est évoquée, mais assez superficiellement dans ce livre, et l’analogie avec les alter-scientifiques est soulignée, tant dans la virulence des contestataires que par leurs arguments contre la prétendue pensée unique et la science "officielle". Il aurait été intéressant d’approfondir cet exemple, qui peut s’avérer dangereux. N’est-on pas ici dans le cas de figure où la connaissance n’est pas encore "acclimatée" dans la société, et où une contestation, fût-elle de mauvaise foi, est utile ?
Titre : Une brève histoire de l'avenir
Auteur : Jacques ATTALI
Éditeur : Fayard (2006), 422 pp.
(maintenant en Livre de Poche)
Lecteur : Christian G'SELL


Lors d'une flânerie dans un vide-grenier, je suis tombé par hasard sur le livre de Jacques Attali et, après l'avoir rapidement feuilleté, je me suis décidé à l'acheter pour… 1 € ! Eh bien, croyez-moi, je n'ai pas regretté cet "investissement" ! Bien qu'une boutade affirme que "les prédictions sont surtout intéressantes quand elles concernent l'avenir", lire un ouvrage de 2006 qui essaie de brosser l'évolution du monde dans les 20 ans qui suivent est passionnant après que presque 10 années se sont soient écoulées depuis la publication de cet essai. Cela aide en effet à mieux comprendre les ressorts de l'actualité et à entrevoir avec plus d'acuité ce qui pourrait arriver à notre société humaine en mal de repères… pour autant que l'analyste fasse une projection intelligente de son expérience passée vers les événements qu'il attend du futur.
Conseiller de chefs d'États et de managers d'entreprises, Jacques Attali n'est pas un enfant de chœur. Il connait mieux que personne les errements de la nature humaine et leurs conséquences sur les évolutions de la planète. Il aurait sans doute pu accéder à des fonctions politiques de haut niveau mais a volontairement préféré garder sa liberté de parole, tout en ayant accès aux secrets d'État.
Dans une première partie de l'ouvrage, Attali décortique l'évolution des puissances politico-économiques qui ont dominé le monde depuis l'antiquité, et notamment depuis le moyen-âge. Il signale particulièrement l'influence de "l'ordre marchand" sur la concentration des richesses et des pouvoirs dans des "cœurs économiques" successifs : Bruges, Venise, Anvers, Gênes, Londres, Boston, New-York, Los Angeles… En revanche, Paris n'a jamais accédé au rang de "cœur", malgré son rayonnement artistique, son prestige scientifique et sa puissance coloniale. Ce handicap est dû pour une grande part à la réticence de la société française vis-à-vis de l'argent et de l'incapacité des scientifiques à transformer leurs découvertes en produits consommables à haute valeur ajoutée. A contrario, l'auteur remarque que les USA ont réussi à dominer la planète et il estime qu'ils garderont cet avantage encore longtemps.
Parmi les prédictions qui jalonnent cet ouvrage, la montée du terrorisme (qui apparaissait déjà quelques années après l'écroulement des tours jumelles du WTC) s'annonce de plus en plus terrifiante, ce que nous vivons aujourd'hui. Ces luttes ethniques et tribales conduiront sans doute à la fragmentation de la mappemonde en micro-états à l'équilibre précaire. Pendant ce temps, les pays riches verront leur train de vie s'effriter sans que leurs populations, trop occupées à s'adonner à l'emprise des produits "nomades" fabriqués en Asie, ne prennent conscience de l'urgence d'éduquer, de créer et de produire. Quant à l'Afrique, Attali ne lui voit pas un avenir très favorable, à l'exception de quelques-unes de ses nations.
La plus terrifiante des interrogations concerne l'usage des armes thermonucléaires qui se dispersent dangereusement dans les mains d'états inconstants, voire de groupes terroristes. Connaîtrons-nous dans les décennies à venir un cataclysme fatal à notre espèce humaine ? Attali n'exclut pas cette hypothèse sinistre et en décline les divers scénarios. Toutefois, mû par un optimisme résolu (ou incantatoire ?), il brosse également le tableau d'une humanité sage qui, ayant pris conscience de la folie du feu nucléaire, saura mettre son intelligence et son énergie au bénéfice de la collectivité humaine. À voir dans 30 ans… si nous sommes encore là !
Titre : La grande bifurcation
Sous-titre : En finir avec le libéralisme 
Auteur : Alexandre MOATTI
Éditeur : Odile Jacob, Paris (2013), 330 pp.
Lecteur : Daniel TONDEUR

Gérard DUMÉNIL et Dominique LÉVY sont économistes, chercheurs au CNRS. Ils ont publié entre autres "The crisis of Neoliberalism", Harvard University Press (2011). Gérard DUMÉNIL était à Nancy le 9 avril dernier, à l’invitation d’ATTAC, pour une conférence sur le thème de ce livre.
Ce livre peut être vu comme une suite logique de celui de Dominique MÉDA, au sens où il traite de questions plus directement politiques. Ce que les auteurs appellent "la grande bifurcation", c’est la charnière entre deux chemins, deux voies d’évolution de notre société, à laquelle nous nous trouverons actuellement. L’une de ces voies mènerait à un effacement des rapports de classes, une forme de "socialisme", un terme qu’il faut bien continuer à utiliser malgré le poids de l’histoire et son usage présent. L’autre voie serait la perpétuation, le renforcement de ces rapports de classe. Ces deux voies divergent  de telle sorte que les choix faits présentement détermineront laquelle sera empruntée. Les auteurs cherchent alors à cerner les déterminants de ces choix.
Les auteurs étayent leur démarche d’une part par une analyse historique de l’émergence de la société "néolibérale", et d’autre part une analyse des classes sociales, une relecture et une mise à jour de Marx en quelque sorte. Partant du "compromis à gauche", qui fait suite en France au 2ème conflit mondial, ils analysent la transformation progressive du capitalisme, de la mondialisation, des inégalités, jusqu'à la période contemporaine. Ils présentent pour cela des graphes que les non-économistes n’ont guère l’occasion de voir, sur l’évolution comparée des pouvoirs d’achat de différentes catégories, ou encore des investissements, du PIB, de la production industrielle, des coûts salariaux, des balances commerciales dans différents pays.
Un point qui m’a frappé dans cette partie de l’analyse, c’est la comparaison de l’Allemagne et de la France. Jusqu'au milieu des années 1990, l’évolution macro-économique des deux pays semble sensiblement parallèle ; cependant la nature des politiques économiques diffère fondamentalement. Alors que l’Allemagne investit (vers l’est européen) pour renforcer son industrie, la France investit (vers les sud européen) pour renforcer sa finance, et pour prendre des places de leader mondial dans certaines niches financières, par exemple le financement des collectivités locales. Or cette croissance  financière (rachat de sociétés étrangères) se fait de manière spéculative. L’affaire du Crédit Lyonnais va en servir de révélateur, et la crise accentuera les effets de cette  politique, avec des échecs retentissants  (Dexia, Natixis). A partir de là, les évolutions du PIB, les déficits budgétaires et la balance commerciale de la France et de l’Allemagne divergent.
L’autre grand axe de la réflexion proposée est donc une analyse de classes. J’ai trouvé cette analyse originale et éclairante, et je vous propose donc d’en détailler un peu ce que j’en ai compris.
Les études marxiennes se situant dans le contexte de l’industrialisation de l’Europe du 19ème siècle et du développement corrélatif d’une classe ouvrière importante, l’analyse de classe nécessite d’être revisitée en fonction de la sociologie d'aujourd'hui, et de l’évolution de la composition et du rôle des classes populaires et des classes dirigeantes. Les auteurs décortiquent le rôle joué par une classe particulière, qu’ils désignent comme celle des cadres dirigeants. Ceux-ci sont intermédiaires entre les possédants, propriétaires du capital, et détenteurs du pouvoir économique et médiatique, donc politique, et les classes populaires "exécutantes", ces dernières ne jouant pas de rôle dans l’exercice du pouvoir. Les possédants, qui sont numériquement  une petite minorité, délèguent la gestion de leur pouvoir à cette fraction des cadres, salariés dont les plus habiles finissent par faire partie de la classe possédante, par des mécanismes tels que les stock-options et autres retraites-chapeaux. Par les allers-retours entre la haute fonction publique, la politique et le monde financier et industriel, la classe des cadres dirigeants s'alimente aussi des universitaires, énarques et polytechniciens, et des politiciens professionnels.
L’importance de cette classe dirigeante salariée réside dans trois aspects. Tout d’abord, ils détiennent la compétence gestionnaire, et sont concrètement à la manœuvre dans le fonctionnement au quotidien des systèmes financier, industriel, juridique, médiatique et politique. Ensuite, ils ont un ancrage dans la classe moyenne, dont la plupart sont issus, et ont donc une certaine compréhension des aspirations de cette dernière. Enfin, leur fonction induit une complicité et une dépendance réciproque entre eux et la classe possédante.
C'est l’alliance objective entre cette classe de cadres dirigeants et la classe possédante qui, d’après nos auteurs, caractérise le capitalisme contemporain et ses caractéristiques néolibérales. Ils en tirent la conclusion qu’un renversement d’alliance, c’est-à-dire une alliance de la classe dirigeante avec l’ensemble des classes populaires, est une condition nécessaire à un changement politique profond, qui conduirait à emprunte l’autre branche de la bifurcation, vers la transition écologique évoquée par Dominique MÉDA. Condition nécessaire, mais certes pas suffisante. Encore faudrait-il aussi que les classes populaires se retrouvent autour d’un projet construit par l’ensemble des "gauches radicales" (la gauche économique et sociale, la gauche écologiste, et la gauche de transformation immédiate, selon la catégorisation de nos auteurs). Et donc que ces gauches retrouvent la confiance des classes populaires, qui leur fait indéniablement défaut actuellement ! 
Titre : Flaubert
Auteur : Michel WINNOCK
Éditeur : Gallimard (2013), 538 pp.
Lecteur : Armand HADNI

Une biographie de Flaubert après bien d’autres ?
Il est vrai qu’avec la publication  récente en 5 tomes de toute la correspondance de Flaubert dans la luxueuse Bibliothèque de La Pléiade, il pouvait être  tentant de revenir sur le sujet.
Disons tout de suite que les saveurs de la correspondance sont inégalables, mais l’éclairage que Winnock leur apporte  est précieux pour essayer de comprendre  non seulement l’œuvre de Flaubert, mais aussi l’époque extraordinaire  où elle se situe de 1856 (Madame Bovary)  à la mort de Flaubert en 1880, 10 ans après  la capitulation de Napoléon III à Sedan.
Retenons ici deux points qui nous paraissent les plus typiques.
D’abord la fidélité des amitiés de Flaubert pour Georges Sand,  Louis Bouilhet, Maxime Du Camp, Tourgueniev, Maupassant. Ils ont tous été des censeurs solides  et salutaires, mais on reste parfois étonné de la sévérité des conseils donnés tant pour le style (Bouilhet) que pour les idées (Georges Sand, beaucoup  plus généreuse).
Ensuite, bien sûr, sa recherche pénible de la beauté du style. Il y travaillait parfois 14 heures par jour et n’était que rarement satisfait du résultat : "vous n’imaginez pas ma solitude intellectuelle" écrit -il. Les critiques divergent. Paul Léautaud se rallie à Boileau : "ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots pour le dire se trouvent aisément". Il suffit de relire une page de Racine ou Molière pour en être impressionné, mais le problème est peut-être plus complexe.
A lire expressément !
Titre : Mission insertion
Sous-titre : Un défi pour les universités 
Auteur : José ROSE
Éditeur : Presses Universitaires de Rennes (2014), 237 pp.
Lecteur : René HODOT

Sociologue, ancien directeur scientifique du Centre d’Etudes et de Recherches sur les Qualifications (Céreq), José ROSE a eu en 2009 la responsabilité, à l’Université de Provence (dont il est émérite), d’un tout nouveau "diplôme universitaire d’aide à l’insertion professionnelle", répondant à la loi LRU du 7 août 2007 qui avait ajouté l’insertion professionnelle aux missions fondamentales des établissements d'enseignement supérieur. 
Pour les universités, c’est un défi, car, par opposition aux Grandes écoles, IUT, etc., dont les cursus débouchent directement sur une profession, elles sont souvent considé­rées comme peu capables de préparer leurs étudiants à l’emploi. Les entre­prises en effet méconnaissent généralement les formations universitaires et ont des a priori négatifs envers leurs usagers. De leur côté, les enseignants-chercheurs redou­tent que cette tâche supplémentaire ne les empêche d’exercer normalement leurs deux missions de base : la production et la diffusion des savoirs. 
En six chapitres clairement structurés et sobres en statistiques, José ROSE fournit un panorama complet des questions qui se posent et de leurs implications. Quelques exemples, qui montrent que la partie n'est pas perdue d’avance :
Une mission qui n'est pas si nouvelle. Dès les années 1990, divers dispositifs ont été mis en place dans de nombreuses universités pour le suivi des anciens étudiants, donnant lieu à une documentation abondante, mais insuffisamment exploitée. Note, en 1992, du Haut Comité Education-Economie, reprise ici p. 153 : "Une filière littéraire ou de sciences humaines, qui affiche comme objectif la préparation aux concours de l'enseignement secondaire dans cette spécialité et qui conduit à la réussite de la quasi-totalité des étudiants (…), doit être considérée comme parfaitement professionnalisée".
Des étudiants pas si mal préparés à l’emploi. Ils développent en effet (même les "littéraires" !) des "qualités d’autonomie, d’adaptabilité, de curiosité, de créativité, d’ouverture d'esprit, d'expression, de regard critique, autant de vertus particulièrement utiles dans une société contemporaines accordant une place majeure à la connaissance, à l'innovation, à la créativité et aux échanges sociaux" (p. 34). Et les études sont aussi un travail : "elles permettent d’acquérir non seulement des connaissances et des savoirs (…) mais aussi des compétences et des savoir-faire souvent directement transférables en situation d’emploi" (p. 120). Ce ne sont pas moins de vingt compétences qu’on peut reconnaître au docteur qui arrive sur le marché du travail (p. 121) ; pour n’en citer que deux : gestion des problèmes complexes, grande capacité de travail et de concentration.
Professionnaliser, ce n’est pas préparer au (seul) premier emploi. Il convient donc "de proposer une conception universitaire de la professionnalisation", c’est-à-dire "une formation non étroitement spécialisée, destinée à préparer à l’ensemble de la vie active (…), garantissant la transversalité et la transférabilité des acquis (…)" (p. 163). Et c’est dans cet esprit que les cursus pourront être adaptés à la professionnalisation, comme la loi en fait l’obligation (l’autonomie des universités étant toute relative), sans l’opposition, sinon avec l’adhésion, des enseignants-chercheurs. 
L’ouvrage se recommande par la finesse des analyses et leur pertinence critique (v., p. 121-131, le développement sur les stages en entreprise), sans jamais être polémique.
Titre : La mystique de la croissance
Sous-titre : Comment s'en libérer ? 
Auteur : Dominique MÉDA
Éditeur : Flammarion (2013), 256 pp.
Lecteur : Daniel TONDEUR

L’auteure est professeur de sociologie à Paris-Dauphine, agrégée de philosophie, ancienne élève de l’ENS et de l’ENA, spécialisée dans les questions de travail d’emploi et de politiques sociales. Elle est venue faire une conférence sur le thème de son livre au Forum de l’Ecole des Mines à Nancy le 21 janvier dernier.
Le livre décortique comment et pourquoi nous sommes devenus des sociétés fondées sur la croissance, à tel point que dans la pensée dominante, il n’est point de salut, point de réponse aux problèmes de l’emploi par exemple, en dehors de la croissance. Cette idéologie s’est installée avec une telle force, confortée par les lobbies industriels et financiers, que tous ceux qui s’avisent de la remettre en cause passent pour de doux rêveurs.
Et pourtant, si la croissance ne revenait pas ? Et si nos sociétés occidentales avaient atteint  une sorte de palier, l’asymptote de la courbe en S, et que nous devions nous contenter des ± 0,1 % que nous connaissons actuellement ? Et si les modèles économiques prenaient enfin en compte la finitude de nos ressources, la préservation de notre environnement et le juste partage ? Et si les objectifs  des gouvernements se plaçaient dans une perspective de durabilité humaine et environnementale des sociétés, bien au delà des perspectives de la prochaine élection ?
Dominique.MEDA se place résolument dans la perspective de ce qu’elle appelle une transition écologique au sens large, au sens de la durabilité à la fois environnementale et sociétale. Le livre est organisé en trois 
parties.
Comprendre : pourquoi nous sommes focalisés sur la production, comment celle-ci à d’autres fonctions que la satisfaction des besoins, pourquoi nous avons perdu tout sens des limites, combien l’économie et la sociologie "classiques" ont négligé les rapports entre l’homme et la nature, comment la comptabilité nationale, le PIB, négligent les dégâts de la croissance…
Changer : d’indicateurs économiques, de vision sur ce que nous léguons aux générations futures, de paradigme de croissance, de valeur de la nature…
Mettre en œuvre : enserrer la production dans des critères éthiques, concilier la question écologique et la question sociale, planifier la transition écologique, redéfinir la répartition entre la charge et le financement, redéfinir le progrès, promouvoir la coopération et la mutualisation plutôt que la concurrence…
Mes impressions : je suis en effet impressionné par la profondeur et l’amplitude de la réflexion, la qualité de la documentation et de la perspective historique, qui fait de ce livre un véritable travail scientifique, et non pas un pamphlet pour la « décroissance ». Cette analyse débouche sur une perspective de "transition écologique" bien analysée, cohérente, et à mon sens crédible.
Cependant, elle débouche également sur une interrogation d’ordre politique : qu’est ce qui est susceptible de déclencher et conduire un tel changement ? Quelles forces sociales, quels moteurs idéologiques, quels mouvements politiques, quelles contraintes environnementales, quels événements économiques, quelle révolution ? Il est compréhensible que l’auteure n’évoque pas ces questions dans le présent ouvrage. Elle ne l’a pas fait non plus, dans sa réponse à des questions lors de sa conférence à Nancy. Le fera-t-elle dans le cadre du nouveau parti "Nouvelle Donne" dans lequel elle vient de s’engager ?
Titre : Devinaigrette
Sous-titre : Méli-mélo de mots-valises
Auteur : Alain CRÉHANGE
Éditeur : Mille et une nuits (2013), 69 pp.
Lecteur : Christian G'SELL

Alain CRÉHANGE (fils de notre amie Marion), s'est fait le spécialiste des petits livres humoristiques et des jeux de mots. Non pas des blagues traditionnelles, mais des constructions verbales un peu loufoques appelées "mots-valises". Il avait déjà publié "Le Pornithorynque est un salopare" et "L'Anarchiviste et le Biblioteckel". Il persiste et signe ce troisième livret (de 69 pages petit format) en appliquant la même technique. Il énonce même la "théorie des mots-valises" afin que le lecteur en comprenne le fonctionnement et soit capable d'en construire de nouveaux. Vous n'avez pas encore compris ? C'est pourtant simple : un mot-valise est un néologisme formé avec deux mots que l'on torture un peu et que l'on assemble pour obtenir un nouveau qui puise son sens dans les deux mots constitutifs, mais qui finit par vivre sa vie propre… Il vous faut des exemples ?  Alors permettons-nous d'en piquer quelques uns particulièrement savoureux dans cet "ouvrage". Un "ESPASSE-TEMPS" est un violon d'Ingres pour Albert Einstein ; un "CATASTROPHYSICIEN" est un scientifique étudiant les probabilités d'éventuelles collisions entre des corps célestes et la Terre, ainsi que les conséquences qui en découleraient ; un "MARDIGRAL" est un poème galant d'avant Maurice Carème ; le "SILEXOMIL" était une roche siliceuse dure que les hommes préhistoriques taillaient pour apaiser leurs angoisses ; etc. À vous de jouer maintenant !  Nous pourrions profiter de ce site web pour y publier les mots-valises les plus savoureux que vous accepteriez d'envoyer au secrétaire de l'association. Par exemple, dans notre domaine,  un "EPHEMERITE" serait un professeur retraité qui se verrait attribuer l'éméritat pour une durée très brève (disons 2 ans par exemple ?) 
Titre : L'Atlantide, petite histoire d'un mythe platonicien
Auteur : Pierre VIDAL-NAQUET
Editeur : Les Belles-Lettres, collection Histoire, (2005), 198 pp.
Lecteur : Monique BILE

Comme il l'avoue dans l'Introduction (p. 13), l’historien Pierre Vidal-Naquet, en abrégé PVN a porté en lui ce livre pendant 50 ans (articles, séminaires, interviews). PVN, universitaire juif dont les parents sont morts à Auschwitz, a fondé, avec Jean-Pierre Vernant, une école de pensée relative à la Grèce antique, appelée parfois "Ecole de Paris". Ce militant de la Ligue des Droits de l’Homme ne dissociait pas son métier d'historien de la Grèce de celui de témoin engagé dans tous les grands conflits de la seconde moitié du XXe siècle. 
Le chapitre un est consacré au mythe créé par Platon dans le Critias (§§ 108-121) et le Timée (§§ 20-25), qui oppose l’Athènes "primitive" - défendue par des gardiens en armes, où domine le Même (les habitants sont des autochtones) - et l'Atlantide, grande île peuplée par les descendants du dieu de la mer, Poséidon, et de Clitô, une mortelle, donc placée dès le départ sous le signe de "l'altérité". D'abord régie selon des principes divins, elle jouit d'une merveilleuse prospérité, avec un métal fabuleux, l'orichalque. Mais quand l'élément humain vient à dominer, l'île bascule dans la démesure, faisant la guerre à l’Athènes "terrestre" qui l'emporte ; cependant l'Atlantide et l'armée d'Athènes sont englouties à la suite de tremblements de terre et de cataclysmes. Pour PVN, l'Athènes "primitive" représente l'Athènes idéale rêvée par Platon, le sort de l'Atlantide, vouée au Mal, préfigure celui d'Athènes, dont la démocratie, qui répugne à Platon, doit selon lui entraîner sa perte. A cette interprétation se superpose une seconde : PVN voit dans l'affrontement Athènes /Atlantide l'image des dissensions internes d'Athènes. Ces interprétations rationnelles s'imposent contre toute tentative de localisation de l'île mythique, démarche non scientifique qui fait toujours florès ! 
Les chapitres deux à cinq étudient les différents angles d’approches du mythe ; le point de vue religieux domine dans l’Antiquité gréco-romaine et chez les premiers écrivains chrétiens qui, à cause du "déluge", y voient une préfiguration de la Bible, l’idéologie nationaliste l’emporte lors de la découverte de l’Amérique, qui serait le continent englouti et que peut revendiquer le roi d’Espagne, et au siècle des Lumières le mythe continue à alimenter des fantasmes politico-religieux. Au début du XIX° siècle, ce sont les Juifs qui seraient les Atlantes, l’Atlantide étant perçue comme un lieu idyllique, symbole de l’âge d’or. 
Le chapitre six explique que, dans la seconde moitié du siècle et au début du XX° siècle, l'opposition entre le Même et l'Autre, au cœur du mythe platonicien (l'Athènes "primitive" est vertueuse, car composée des Mêmes, l'Atlantide est le domaine du Mal, parce qu'en elle tout est mélange) va trouver sa pleine expression. Des "théoriciens" - K. G. Zschaetzch et Albert
Herrmann (ce dernier professeur à l'Université de Berlin) - croient démontrer l'antiquité et la pureté de la nation allemande en se fondant sur le mythe de l'Atlantide. La race pure, perdue, doit renaître, au détriment de toutes les autres, les races impures. Le génocide juif est décidé. 
Dans le chapitre sept, court (pp. 133-140), "Interlude : notes sans musique", il est question d'un musicien et d'un librettiste allemands, antinazis, qui composèrent un opéra Der Kaizer von Atlantis, réplique à l'idéologie nazie, et qui tous deux périrent à Auschwitz en octobre 1944, dans le même camp d'extermination et à peu près à la même époque que les parents de PVN. 
Assez subtilement, le chapitre huit (pp. 141-148) clôt le livre sur l'évocation d'un auteur à succès du XIXe siècle, maintenant bien ignoré, l'Américain Ignatius Loyola Donelly, mort en
1901, qui réalisa un vaste syncrétisme en traitant de l'Atlantide et en posant des questions sur l'origine de "la" civilisation. PVN veut montrer par là que l'Atlantide de Platon, son auteur de prédilection, idéologiquement loin de lui, mais marqué par la mort de son maître Socrate, comme l'auteur par celle de ses parents, victimes de la barbarie nazie, qui se réclamait de l'Atlantide, est une source inépuisable pour l'imaginaire. 
Tout ceci justifie l'enquête d'une vie : PVN disait que ce livre, qui dénonçait les dérives de tout nationalisme, serait son dernier ; sa prémonition se vérifia, puisque l’ouvrage parut en décembre 2005 et que PVN mourut le 29 juillet 2006. 


Titre : Le passé recomposé
Auteur : Jean-Pierre ADAM
Editeur : Le Seuil (1988)
Lecteur : Jean-Claude GACHON

J'avais lu ce livre avec délectation à l'époque de sa parution, et je viens de le retrouver au cours d'une errance dans l'un de mes "silos à bouquins". Je l'ai relu avec le même appétit que la première fois. L'auteur, archéologue au CNRS, dénonce un certain nombre de balivernes ayant eu cours pendant les années 70 et 80 à propos d'archéologie et montre que la méthode scientifique consistant à garder les pieds sur terre, à confronter l'imagination avec l'expérience et à refuser comme établi ce qu'on ne peut ni prouver ni infirmer vaut mieux que l'élucubration fantastique. Bien-sûr, le livre a un peu vieilli et c'est dommage (qu'aurait dit J. P. Adam du "Da Vinci code" ?). Toutefois, il reste décapant pour l'esprit et hautement recommandable. Le côté tueur de mythes fera sans doute de la peine à ceux que le merveilleux fascine, mais il leur montrera que ce merveilleux ne fonctionne bien que dans les contes de fées.

Titre : Différentes saisons (titre original : Different seasons)
Auteur : Stephen KING
Editeur : Albin Michel (1982), également en format poche
Lecteur : Jean-Claude GACHON

C'est un des livres de King dans lequel la part du fantastique est très limitée. La première publication remonte à 1982, mais je ne l'ai découvert que très récemment. Il se compose de quatre nouvelles, (les quatre saisons), dont une seule, l’hiver, rappelle que King est un des maîtres modernes du fantastique.
Le printemps est constitué par une peinture de la vie dans une prison de haute sécurité des Etats unis, intitulée « Rita Hayworth and Shawshank Redemption ». Le narrateur  fictif, prisonnier lui-même, raconte la vie derrière les barreaux d'un compagnon qui manifestement n'était pas fait pour la prison (et ne la méritait pas, on le saura) mais qui par sa volonté et son intelligence réussit à surmonter toutes les épreuves qu'il subit. La vie de prisonnier n'est jamais drôle, ni dans les prisons US ni ailleurs, mais ici la violence et la cruauté des situations sont extrêmes.
L' été narre l'adolescence d'un bon élève : "Apt pupil". C'est un garçon qui découvre un ancien criminel de guerre nazi camouflé en paisible retraité aux Etats Unis et qui pendant plusieurs années va avoir avec le vieil homme une relation bizarre. D'abord dominant ; le jeune homme va devenir dominé et l'histoire se terminera par une double série de meurtres de clochards. Encore une fois, l'histoire est sinistre, mais passionnante, et les récents massacres d'enfants par des fous armés lui donnent une résonance que l'auteur lui même ne souhaitait sans doute pas.
L'automne est un récit mettant en scène des jeunes préadolescents, un groupe de camarades qui ont leurs habitudes et qui vont se lancer dans une expédition périlleuse pour réussir à voir un cadavre, quelque chose de nouveau pour eux. Les péripéties relatées peignent la vie des couches pauvres de la société US sous un jour peu flatteur. Il parait que c'est l'un des textes les plus autobiographiques de King et le talent de l'auteur est tel qu'on le croit vraiment même si on est incapable de le vérifier.
L'hiver ramène, un peu, au Stephen King fantastique qu'on se représente en général. L'histoire commence cependant de façon très terre à terre  et ce n'est que par petites touches que l'auteur amène le lecteur à considérer le récit comme une fiction. Finalement, dans un mélange d'heureux et malheureux événements le lecteur est encore une fois mené (promené ?) par l'auteur dans un monde a priori feutré et réel mais dont la réalité n'est que l'étage inférieur d'une construction dont il vaut mieux ne pas voir le haut.
Finalement, un excellent livre, qui pour ceux qui voudraient le lire en VO, est très abordable car il ne se départit pas de la langue commune, ce qui prouve qu'il n'est pas nécessaire de jargonner pour être passionnant.
Titre : La longue traque
Auteur : Gilles PERRAULT
Editeur : J.C. Lattes (1975)
Lecteur : Jean-Claude GACHON

Un vieux livre déniché à la "Trifilerie" (http://www.monthureux.fr/minos.htm) du Mont de Savillon à Monthureux sur Saône pour 1 €.  C'est l'histoire de la traque par l'auteur, de Roland Farjon, descendant d'une dynastie industrielle (qui ne connaît les crayons Baignol et Farjon ?) et dont la destinée pendant la seconde guerre mondiale avait laissé jusque là des souvenirs très contradictoires. Au début de l'Occupation, Roland Farjon avait résisté et rapidement gravi les échelons jusqu'à devenir un des cadres de la zone Nord. Arrêté par l'occupant, il aurait trahi ses camarades sans vergogne, d'après certains témoignages. Après s'être évadé, il a gagné le maquis et a fait le coup de feu pour contribuer à la Libération. Rattrapé par les rumeurs de trahison, il aurait "disparu" opportunément en Amérique du Sud, pour réapparaître en France quelques années plus tard. L'auteur retrace toute la période incriminée et détaille tous les efforts qu'il a déployés pour finalement conclure que la trahison n'en était vraisemblablement pas une, les méthodes d'interrogatoires des occupants ne consistant pas uniquement à cogner interminablement, pendant que la disparition en Amérique du Sud n'est qu'une fable. Selon une autopsie concluante Roland Farjon est mort à Paris, dans la Seine, le 21 juillet 1945. Le livre est passionnant et, selon un terme de justice, instruit à charge et à décharge. D'après l'auteur, Roland Farjon ne méritait certainement pas la condamnation qui fut la sienne de la part de nombreux autres résistants.
Titre : Histoire de la Résistance (1940-1945)
Auteur : Olivier WIEVIORKA
Editeur : Perrin (2013)
Lecteur : Jean-Claude GACHON

Comme le titre l'indique, le livre retrace avec autant de minutie et d’exhaustivité que possible la période de la Résistance. Ce n'est certes pas le premier ouvrage qui traite du sujet, mais c'est l'un des rares, sinon le seul, de tous ceux que j'ai lu qui se départit d'une forme d'angélisme tendant à gommer tout ce que les diverses résistances ont pu avoir comme points de friction, voire comme heurts. Cet ouvrage ne se lit pas comme un roman, il est dense et sévère dans sa forme mais il captive tout de même le lecteur car il lui donne le sentiment profond de ne rapporter que du  solide et il ne laisse rien dans l'ombre.  Un regret tout de même, s'il commence par une liste des sigles avec leurs significations, ce qui est essentiel à la compréhension pratique, la chronologie, elle, est à la fin, coincée entre les notes et la bibliographie alors qu'elle aurait du être immédiatement visible, avant le début de la lecture. Cependant ceci n'est qu'un détail insignifiant quand on le remet en perspective avec l'ensemble de l'ouvrage, à lire absolument si on s'intéresse à l'histoire de la France.

Titre : Guérisseurs et médecines non conventionnelles
Sous-titre : Le Secret en héritage
Auteur : François MATH
Editeur : Editions Universitaires de Lorraine,Collection "Pour ainsi dire" (2013)
Lecteur : Christian G'SELL

Épatant notre collègue François ! Nous avons déjà pu apprécier son talent pour la sculpture sur pierre et son goût pour la recherche historique sur des sujets sensibles (voir la rubrique "les Emérites ont du talent"). Nous connaissons ses qualités scientifiques dans le domaine de la neurophysiologie. Toutefois, nous n'avions pas conscience de côtoyer au fil des activités de l'association "EMERITES.LORRAINE" un authentique descendant d'une lignée de guérisseurs (marquée par des origines autrichiennes et des errances géographiques répétées) ayant entretenu au fil des générations une remarquable passion pour guérir des maux face auxquels les médecins "officiels" baissaient les bras. François MATH, lui aussi, aurait pu devenir guérisseur s'il avait choisi de mettre en œuvre le "secret" que son grand-père rêvait de lui transmettre. Il aurait pu rechercher les tumeurs à l'aide de son pendule, guérir de graves affections dermatologiques en imposant ses mains et en prononçant des paroles "magiques", soigner des dysfonctionnements viscéraux en administrant des décoctions de plantes rares (ou plus simples), soulager des lombalgies par des manipulations de "rebouteux"… Mais voilà ! Il a choisi de rompre la chaîne familiale en consacrant sa jeunesse à des études scientifiques pures et dures. Du gâchis ? Qui sait ? En tout état de cause, cette double casquette lui donne une légitimité incontestable pour traiter le problème si controversé des médecines non-conventionnelles qui revient périodiquement à l'ordre du jour au sein de la profession médicale et/ou du grand public, vite oublié lorsque de nouvelles techniques d'imagerie à haute résolution ou de traitements médicamenteux plus performants voient le jour… pendant que des millions de patients en quête de soulagement continuent à se confier à des guérisseurs et magnétiseurs de tout poil, réels savants de la nature humaine ou charlatans dangereux.
L'ouvrage de François MATH n'est ni un plaidoyer, ni une étude exhaustive (malgré un remarquable effort de citations des sources). Le sujet est traité en 40 pages, pas plus, avec un style personnel qui correspond si bien au personnage. On y trouve des faits historiques, des éléments d'évaluation des diverses méthodes pratiquées par les uns et les autres, ainsi que des relations d'événements de sa propre vie. L'auteur ne cherche à aucun moment dans ce petit livre à opposer la médecine "moderne" et les pratiques traditionnelles. Convaincu qu'il vaut mieux confier sa vie à un bon guérisseur qu'à un mauvais médecin, il affirme en tout état de cause que des soins n'ont des chances de succès que si un vrai dialogue s'instaure entre le malade et le praticien. C'est le privilège de l'âge et l'expérience personnelle qui donnent à François MATH cette pertinence des arguments et cette liberté d'expression… avec la modestie de celui qui sait bien (comme nous tous) que la vie n'est pas éternelle et que les patients des "bons guérisseurs" qui se sont succédés depuis le moyen-âge sont aujourd'hui sous la terre mais en ayant sans doute pu jouir, grâce à eux, d'une existence plus douce avec moins de souffrances inutiles.
Ainsi, ce livre original ne clôt pas le débat. Il pose plus de questions qu'il ne donne de réponses. Il a le grand mérite de remettre les choses à leur juste place et d'esquisser les bases d'une autre pratique de la médecine, d'avantage à l'écoute du malade.
Titre : Higgs, le boson manquant
Auteurs : Sean CARROLL, traduit de l'anglais par Bertrand NICQUEVEN
Editeur : Belin, 'Pour la science" (2013)
Lecteur : Jean-Louis RIVAIL


Ceux que le monde déroutant des particules élémentaires interroge, et en particulier ceux qui aimeraient en savoir plus sur le boson de Higgs mais qui ne sont pas des spécialistes de la théorie quantique des champs et du modèle standard, trouveront sans doute dans ce livre de nombreuses réponses à plusieurs de leurs questions.
L’auteur, cosmologiste au Caltech et vulgarisateur de renom, réussit l’exploit de nous présenter le bestiaire des particules du modèle standard en des termes simples et au moyen d’images de la vie courante. Il détaille en particulier le caractère atypique de ce fameux boson de Higgs, prévu par la théorie et encore jamais mis en évidence.
Un tour d’horizon des divers accélérateurs de particules, ainsi que des découvertes qu’ils ont permises nous conduit tout naturellement au Large Hadron Collider (LHC) du CERN. On ne peut qu’être fasciné devant la description de la plus grand machine jamais construite qui fait circuler des protons à 99,999 996 % de la vitesse de la lumière dans des tubes de 2,5 cm de diamètre. Deux expériences : ATLAS et CMS sont bâties autour de deux détecteurs des particules émises par les collisions qui se produisent au rythme de 20 000 000 de fois par seconde ! Inutile de dire que sans un traitement très élaboré de l’information recueillie, celle-ci serait inutilisable. Et le boson de Higgs dans tout ça ? La théorie prévoit qu’il se désintègre dès qu’il est émis et ses produits de désintégration sont les mêmes que ceux qui sont produits normalement dans les collisions. Il s’agit donc de mettre en évidence un léger excès de particules, à une énergie donnée. Les expérimentateurs ont décidé de cibler deux modes de désintégration particuliers, dont un mode à deux photons dont la probabilité n’est pourtant que de 0,2 %. Et la petite bosse caractérisant un excès de photons a pu être mise en évidence à 125 GeV par chacune des deux expériences, permettant l’annonce de la découverte, le 4 juillet 2012.
Comme c’est la règle en science, cette découverte ouvre une fenêtre sur des mondes jusqu’ici inexplorés, par exemple celui de la « matière sombre » et le LHC a encore de beaux jours devant lui.
L’ouvrage se termine sur des considérations relatives à la brisure de symétrie et la façon dont l’hypothèse de l’existence de ce boson si particulier a fini par voir le jour. Il est complété par trois annexes plus fondamentales, dont une faisant le point sur toutes les particules du modèle standard.
Cette analyse vise à montrer la richesse de ce livre qui se lit comme un roman. Bien sûr, certaines images, ainsi que les illustrations graphique, sont un peu « tirées par les cheveux ». On ne manque pas, par ailleurs, d’être choqué lorsque l’auteur écrit (p.163) : « Une fois la mécanique quantique inventée, cette relation a même pu être étendue aux particules massives » (il s’agit de la relation de Louis de Broglie entre la quantité de mouvement d’une particule et la longueur d’onde associée). Le détournement de l’histoire de la mécanique quantique au profit exclusif de l’Ecole de Copenhague a encore cours de nos jours, même dans les milieux spécialisés. 
Quoi qu’il en soit, il s’agit d’un excellent écrit de vulgarisation qu’on ne peut que vivement recommander à tous les esprits curieux qui s’interrogent sur ce qui pourrait bien être l’une des découvertes majeures du XXIe siècle.
Titre : Essai sur la laïcité post-chrétienne
Auteurs : Gérard FATH  (2013)
Editeur : L'Harmattan
Lecteur : René HODOT

En notre temps dit de postmodernité, le confinement de toute transcendance dans l’horizontalité d’une religiosité ambiante produit une confusion générale quant au sens même de la laïcité éducative, sommée de se définir, enfin, comme postchrétienne.
En un temps où la formation des maîtres se trouve privée d’espace de formation, ce livre indique des parcours et des lieux d’analyse susceptibles de conforter, aussi bien les pédagogues et les éducateurs que le citoyen, dans l’idée que certains détours de lecture et de pensée donnent de l’air, de l’espace, des appuis pour préserver et repenser, en retour, les tensions constitutives de l’exigence laïque.
En un temps, aussi, où les replis communautaristes assaillent de plus en plus l’école, ce livre voudrait inciter quiconque se dit laïque à des détours réfléchis par la posture de l’autre. Ainsi il deviendra possible, dans l’enceinte scolaire élargie, de mieux faire la part entre ce qui, des convictions de tout un chacun peut être utilement soumis à une critique étayée, informée et ce qui, repéré, accueilli, doit être renvoyé à l’ultime espérance de chacun, hors champ de toute emprise.
Agrégé de philosophie, ancien Elève de l’ENS de St Cloud, Docteur ès-Lettres, Gérard Fath est Professeur émérite de l’université de Lorraine (ex Nancy2). Il complète ici les orientations dégagées de son enseignement, le plus souvent adressé à des publics d’enseignants et de formateurs, confrontés à une difficulté de lecture et de mise en œuvre de l’exigence laïque propre à notre temps.
Couverture : Les Sept Portes de Jérusalem. Sculpture de David Soussana, artiste accompli né à Tanger.

Titre : Le théâtre quantique
Auteurs : Alain CONNES, Danye CHEREAU et Jacques DIXMIER
Editeur : Odile Jacob (2013)
Lecteur : Jean-Pierre MICHEL

Le livre se veut une fantaisie initiatique qui aborde de manière innovante le problème du temps, les paradoxes de la mécanique quantique et les interrogations sur la simulation des fonctions cérébrales, à travers une une intrigue policière originale et les aventures d'une physicienne attachante, passionnée et prête à tout.
Sans doute, mais ça ne suffit pas à faire un bon roman.Les auteurs sont deux grands mathématiciens français et une littéraire. Leur intention est louable mais il n'y a ni cohérence, ni souffle, ni style. C'est décevant. On arrive néanmoins facilement au bout.
Titre : Le théorème vivant
Auteur : Cédric VILLANI
Editeur : Grasset (2012 ; en Poche à partir d'août 2013) 
Lecteur : Jean-Pierre MICHEL

Théorème vivant est le récit de la genèse d’une avancée mathématique. Nous voici emportés dans le quotidien d’un jeune chercheur de talent : un véritable "road trip", de Kyoto à Princeton et de Lyon à Hyderabad, dont Villani tient, au jour le jour, le carnet de bord. Entre des échanges enflammés avec son collaborateur et compagnon de route, quelques refrains de chansons fredonnés au fil des équations et les histoires merveilleuses que ce père de famille raconte à ses enfants, on suit la lente et chaotique élaboration d’un nouveau théorème qui lui vaudra la plus prestigieuse distinction du monde des mathématiques.
Aux antipodes de l’ouvrage de vulgarisation scientifique traditionnel, Théorème vivant est un chant passionné qui se lit comme un roman d’aventures, jalonné de portraits de quelques-uns des plus grands noms de l’histoire des mathématiques et parsemé de vertigineuses équations qui exercent sur le lecteur une irrésistible fascination.
Avis à tous ceux qui gardent un souvenir cruel de l’étude des fonctions et de la résolution d’équations à plus d’une inconnue : Théorème vivant vous réconciliera avec cette science dont Cédric Villani sait comme personne, par la grâce de sa passion, transmettre la magie, la beauté et la poésie.
Dans ce livre très intéressant, on vit, presqu'en temps réel, l'élaboration d'un article de mathématiques de haut niveau ; rien à voir avec nos manips de labo. Il est inutile pour l'intrigue, et dangereux pour votre santé mentale de lire les démonstrations.
Titre : La déesse des petites victoires
Auteur : Yannick GRANNECK
Editeur : Anne Carrière (2012)
Lecteur : Gérard BECK

Ce roman est une fiction s’appuyant sur des faits et des personnages historiques. Il couvre une époque allant de la Vienne des années 1930, où le nazisme obligeait toute une élite à fuir, jusqu’aux années 1980. Le récit, très vivant, porte sur un mathématicien hermétique et génial, Kurt Gödel, qui a pu traverser la Sibérie avec sa femme Adèle, pour fuir vers les Etats Unis via le Japon afin de se rendre à l’Institute for Advanced Studies de Princeton où il est accueilli parmi les plus grands scientifiques du XXème siècle. Ils traversent ensemble des années troublées avec notamment le projet Manhattan qui devait conduire à Hiroshima. La plupart d’entre eux ont eu un rôle déterminant dans la conception et le développement de l’arme nucléaire. Le maccarthysme et sa paranoïa sont venus compliquer la vie de ces génies parfois au bord de la folie. La vie quotidienne à Princeton est décrite avec minutie, souvent avec humour. Kurt Ködel et son épouse sont devenus des amis intimes d’Albert Einstein et de quelques autres illustres physiciens dont les relations, pas toujours faciles, constituent une part du récit. L’épouse de Ködel, femme aimante d’un savant surdoué, mais plutôt fou, constitue à elle seule un personnage étonnant qui met de la sensibilité dans un univers de théoriciens fascinants et égocentriques. Quelques autres personnages, figurants destinés à faciliter le récit, ne manquent pas d’intérêt.
Le travail de documentation qu’a nécessité cet ouvrage est impressionnant par l’étendue des données à caractère scientifiques qui l’illustrent et par la description de la vie à Princeton à son époque la plus prestigieuse.
Ce roman a reçu le Prix des libraires 2013.
Titre : Le mystère français
Auteurs : Hervé LE BRAS et Emmanuel TODD
Editeur : Le Seuil. Collection "La République des idées" (2013) 
Lecteur : Armand GUCKERT

Cet ouvrage est le fruit d’un travail et d’une réflexion réalisés conjointement par un démographe et historien, Hervé Le Bras et un anthropologue historien, Emmanuel Todd. Ces auteurs en suivant une démarche originale, basée en grande partie sur des documents cartographiques, particulièrement clairs et illustratifs, essayent de décrypter ce qu’ils nomment le "mystère français". Ils cherchent à analyser et à comprendre une France à deux visages, l’une qui va mal et l’autre qui résiste à la crise.
Le mérite de cette étude très fouillée et passionnante, est de ne pas sombrer dans le catastrophisme ambiant, véhiculé par les médias et de démontrer à l’aide de multiples indicateurs : démographiques, sociologiques, anthropologiques et religieux, que la France ne se porte pas si mal. Ils tirent des constatations plutôt positives et encourageantes en considérant divers paramètres : le niveau d’éducation, la fécondité relativement élevée, l’émancipation des femmes, l’espérance de vie, le faible taux de suicides, etc.
Le portrait ainsi dressé de la France est assez inattendu et plutôt enclin à une certaine dose d’optimisme. La thèse, basée sur l’exploitation cartographique des données disponibles (120 cartes en couleur) oppose une France qui peine et qui souffre à une autre qui se porte bien, mais dont la séparation ne repose ni sur un clivage de type "gauche-droite" ni sur un constat "riches-pauvres". Ils mettent ainsi en évidence des mouvements beaucoup plus profonds et anciens (fond anthropologique et religieux) marquant l’évolution actuelle. Ils constatent de manière surprenante que la France en difficulté, correspond sur le plan géographique à la partie centrale du territoire fortement marquée par la Révolution, anciennement déchristianisée, gagnée ensuite par l’idéologie communiste, aujourd’hui quasiment disparue. Le niveau de formation de cette France est relativement faible et les inégalités fortes sur le plan économique et social.
En revanche, le côté de la France qui résiste, où le chômage est moindre, le niveau éducatif et le niveau de vie supérieurs, correspond de manière assez surprenante à la France où la culture chrétienne perdure même si la pratique religieuse a fortement chuté (Bretagne, Pyrénées basques, Franche Comté, Savoie, Alsace…). Ces régions qui s’en sortent sont marquées selon les auteurs, "par un catholicisme zombie, catholicisme certes mort en tant que croyance mais vivant en tant que force sociale" !
En conclusion, même si le lecteur n’adhère pas totalement à toutes les thèses développées, ce travail rigoureux constitue une base de réflexion particulièrement originale et stimulante face à la vision d’une "France moribonde et ingouvernable" et fournit  des éléments de nature à croire à la possibilité d’un renouveau et d’une gestion plus solidaire.
Ce livre me paraît un élément documentaire intéressant en vue de la préparation de "l’Université d’Été des Émérites", de septembre 2014.
Titre : La fascination du Japon
Auteur : Philippe PELLETIER
Editeur : Le Cavalier Bleu (2012)
Lecteur : Armand HADNI

Le Japon nous déconcerte, on sait par exemple que la luxueuse ville de Sendai, si éprouvée par le Tsunami de mars 2011, est aujourd'hui complètement restaurée, en moins d'une année !
Bien de nos idées sur le Japon seraient à réviser. Pour en rester aux Tsunami, il est vrai qu'ils sont assez fréquents, mais on ne dit pas assez les précautions qui sont prises en permanence pour en limiter les effets. Il y a eu certes 26000 morts et disparus causés par le dernier raz de marée, mais seulement 5 morts à Tokyo. C'est trop, bien sûr, mais vu sa force, le bilan aurait pu être bien pire, et c'est grâce à une alerte précoce, un entrainement rigoureux et des ouvrages d'art renforcés outrageusement qu'il a pu être contenu. On dit que le Japon manque de place, et de matières premières, toutefois il a du fer, du cuivre, du charbon…mais il est encore actuellement moins coûteux  d'importer. Il est riche en eau, en bois…Les eaux de la zone Economique Exclusive ZEE des 200 milles nautiques sont les plus riches du monde et occupent une surface 12 fois plus grande que le Japon lui-même! Ce petit livre donne des renseignements précis qui semblent exacts sur les problèmes d'éducation, le suicide des jeunes, l'érotisme, les mœurs, l'empire des sens, la violence, les kamikases, les Geishas, la femme qui reste à la maison, la longévité… Ils peuvent nous faire réviser bien de nos opinions sur le Japon qui reste la 2ème puissance économique du monde et où il fait encore bon vivre.
Titre : Refus de témoigner
Auteur : Ruth KLUGER
Editeur : Viviane Hamy (2010)
Lecteur : Jean-Pierre MICHEL

Ce livre n'est pas nouveau. Il est paru en 1992, a été traduit en français en 1997 et maintenant réédité en format de poche. C'est l'autobiographie d'une jeune juive de Vienne, déportée à onze ans à Theresienstadt, puis Auschwitz et à Christianstadt. Dans la deuxième moitié, elle raconte son retour dans la société "normale" en analysant les réactions de ceux qui n'ont pas connu l'horreur : un mélange d'ignorance et d'incrédulité, réelles ou feintes, sur ce qui s'est passé. Elle possède un grand talent d'écrivain. Elle est aujourd'hui professeur (sans doute émérite) de littérature allemande aux Etats-Unis.
On ne peut s'empêcher de faire la comparaison avec le livre "Si c'était un homme" de Primo Levi. Avec quelques différences, il était italien, docteur en chimie quand il a été déporté à 24 ans. Il a ensuite témoigné tant qu'il a pu jusqu'à un probable suicide en 1987.
Deux livres d'une force exceptionnelle qui n'ont pas vieilli. Il y a un avant et un après leur lecture.
Titre : Le détroit
Sous-titre : L'Occident barricadé
Auteur : Mustapha NADI (professeur d’informatique à la faculté des sciences et techniques de l’Université de Lorraine à Nancy)
Editeur : Editions Riveneuve (2012)
Lecteur : Jean-Paul HATON

Le détroit est celui de Gibraltar, verrou entre deux mondes,  que des africains tentent de traverser dans l’espoir d’une vie meilleure, parfois au péril de leur vie. Mustapha, lui aussi Marrakchi de naissance…, venu en France pour ses études supérieures après avoir fréquenté le lycée Lyautey de Casablanca, connaît bien son sujet. Evoquant par touches le Maroc, son présent et son passé colonial mêlés, il nous livre un ouvrage fort, bien écrit et qui ne laisse pas indifférent. Un livre à lire abordant un sujet qui nous concerne tous.
 Titre : Le second souffle
Auteur : Philippe POZZO DI BORGO
Editeur : Editions Bayard (2001)
Lecteur : Jean-Claude GACHON

Le film « Intouchables » a été tiré du livre.
L'autobiographie de Philippe Pozzo di Borgo est sans complaisance. Les heurts violents entre la fortune dont il hérite (et qu'il entretient) et l'infortune qui frappe la vie de sa femme et la sienne sont terribles. La narration n'est pas linéaire, l'auteur précise au début du livre que, tétraplégique, il ne lui est plus possible de se servir d'une feuille de papier et d'un crayon pour ordonner ses idées, qu'il note donc sur un ordinateur ce à quoi il pense, quand il y pense. Le résultat est un livre dur, terriblement dur, mais tout aussi passionnant. Les deux personnages masculins, l'auteur et son soigneur, sont des caractères hors du commun qui lorsqu'ils pensent en phase, cela arrive souvent, sont capables de véritables exploits, pas toujours très moraux, mais l'auteur sait les présenter de telle façon qu'ils font sourire plutôt que de provoquer l'indignation.
En résumé, un livre à lire sans restriction sauf pour de jeunes enfants qui pourraient être effrayés par la dureté des faits relatés.
Titre : La Croix de Lorraine
Sous-titre : Du Golgotha à la France Libre
Auteur : François LE TACON
Editeur : Editions Serpenoise (2012)
Lecteur : Gérard BECK    

Deux fois millénaire la croix à double traverse, appelée aussi croix de Lorraine, est connue comme emblème de la France libre face à la croix gammée des nazis. Elle est devenue ensuite le symbole du gaullisme. Mais son histoire est loin d'être totalement connue, car fort complexe du fait des circonstances multiples où elle est apparue à côté d'autres croix. Instrument de supplice des romains, la croix est d'abord devenue le symbole du christianisme. La croix à double traverse est un avatar de la vraie croix qui aurait été retrouvée par Hélène, la mère de l'empereur Constantin. L'épopée qui a suivi est une histoire passionnante qui a concerné toute l'Europe, fort bien racontée par François Le Tacon. Il aborde l'histoire de la Lorraine ducale, indépendante dans le cadre du Saint Empire et ses fortes interactions avec l'histoire de France et d'Europe. Il tente de résoudre l'énigme de l'origine de cette croix dans la filiation supposée des ducs de Lorraine avec Godefroy de Bouillon ou dans la croix de Hongrie, ou dans celle d'Anjou. L'auteur emmène le lecteur dans le dédale des hypothèses et des certitudes sans jamais lui faire perdre la piste. Mais il subsiste une part de mystère fort existant.
Cet ouvrage permet au lecteur de prendre du recul par rapport à des événements a priori disjoints comme dans un puzzle mais qui, assemblés, donnent une perspective saisissante de l'histoire européenne, française et régionale.
Il aborde aussi l'usage fait de la croix à double traverse en architecture, numismatique, céramique, statuaire avec nombre d'illustrations qui rendent l'ensemble très vivant.
Bien que s'appuyant sur un documentation vaste et approfondie, qui risquait d'aboutir à un ouvrage de lecture un peu difficile, l'auteur est parvenu à la rendre  agréable, sans que l'intérêt ne s'émousse tout au long de ses 160 pages.
Il conclut en montrant combien le symbole que représente la croix de Lorraine est plus présent que jamais.
Titre : La Tour
Auteurs : Uwe TELLKAMP
Editeur : Grasset (2012)
Lecteur : Jean-Pierre MICHEL

Ce roman débute à Dresde en 1982. Les habitants d'un quartier résidentiel cossu se sont depuis longtemps accomodés des conditions de vie difficiles en RDA. Ils restent souvent dans leur bulle pour échapper à la grisaille quotidienne mais il leur faut composer, l'un avec la censure, l'autre avec la vérité officielle,... Le personnage central, Christian, alter ego de l'auteur, est un étudiant qui se destine à la chirurgie mais qui peine à se couler dans le moule.
Ce (gros) livre est un très grand roman de société qui fera date . Il décrit la lente et progressive fin de la RDA dans un milieu privilégié.  Bien que prévisible, cette issue est plus rapide que prévue et les surprend tous.
Titre : La France et le Royaume-Uni
Sous-titre : Des ennemis intimes
Auteurs : Robert et Isabelle TOMBS
Editeur : Armand Colin (2012)
Lecteur : Armand HADNI

C'est un livre intéressant tout au long de 500 pages racontant avec souvent un brin d'humour nos relations depuis la chute de Napoléon en 1815 jusqu'à l'intervention franco-britannique en Libye en 2011, soit près de deux siècles sans guerre entre nos deux nations, ce qui ne s'était jamais vu auparavant !
On peut distinguer des temps de discorde mais sans jamais de conflit, des temps de péril mortel où les deux peuples ont établi des liens étroits et rarement égalés dans l'histoire, et des temps plus calmes, assez rares d'ailleurs.
Les temps de discorde ont commencé dès 1815 quand il fallut rendre une partie des œuvres d'art conquises en  Europe par Napoléon et qui se trouvaient au Louvre. Ils ont. été nombreux plus tard, surtout entre les deux guerres.
Il y a eu la grande crise de 1929. Le Trésor britannique l'attribuait en partie à la faiblesse du Franc qui favorisait le commerce extérieur et permettait  une accumulation d'or à la Banque de France pendant que l'Allemagne empruntait en Amérique pour payer des réparations largement réduites.
Il y a eu la remilitarisation de la Rhénanie en 1936, et la Grande Bretagne n'a pas voulu s'y opposer.
Il y a eu  Munich en 1938 et Daladier a dû céder à Chamberlain.
Il y a eu Fachoda…et bien d'autres !
Malgré ces discordes, souvent graves et lourdes de conséquences, il faut noter presque toujours un respect mutuel, voire même de l'admiration . C'est, par exemple la musique. militaire anglaise jouant la Marseillaise lors du départ de la petite troupe française de Fachoda, ou bien Churchill disant de De Gaulle "J'admirais son comportement arrogant tout en le jugeant déplaisant" .
Dans les temps de péril, les deux peuples ont  souvent partagé les sacrifices.
En 1914, la Grande Bretagne déclara la guerre à l'Allemagne 4 jours seulement après que l'Allemagne l'eut déclarée à  la France. Elle arriva à  débarquer 165000 chevaux et 100000 hommes en 15 jours seulement..
En 1916, à la bataille de la Somme elle eut 19 000 tués en un jour, soit autant que les Français à Leipzig en 1813.
En 1917 il y avait  plus de 2 millions de Britanniques en France
En 1939, la France déclara la guerre 6 heures après la Grande-Bretagne, et l'entrée des troupes nazies en Pologne. Puis ce fut la drôle de guerre où on laissa le champ libre à Hitler. Les Alliés n'attaquèrent pas, ils craignaient de reproduire le carnage  de la guerre de 14 et aussi l'aviation allemande, mais elle était en Pologne!
 En 1940 ce fut l'invasion et Dunkerque où 186.000 Britanniques et 125.000 Français purent passer en Angleterre. Notre alliée avait perdu 400 Hurricanes et Spitfires et n'avait plus que 331 avions de chasse modernes.
Aujourd'hui, on peut se demander si l'Allemagne, gonflée par son dynamisme économique, pourra attirer la France dans son orbite, ou, au contraire l'inciter à rééquilibrer cette influence en se tournant vers la Grande Bretagne.
En conclusion, nous avons lu un récit passionnant d'évènements souvent dramatiques dont nous avons été parfois contemporains. Il faudrait vérifier certaines données; par exemple la France avait-elle vraiment plus de blindés et de meilleure qualité que les Nazis en Juin 1940 (cf p. 253) ?
Il faut aussi noter de nombreux passages plus reposants et avec des pointes d'humour comme celui sur la cuisine anglaise dont certains se sont peut-être un peu trop gaussés. Les pâtés au steak et aux rognons peuvent être très réussis et on peut trouver des livres anglais de cuisine extrêmement soignés avec des recettes originales. Personnellement je recommanderai un certain soufflé aux épinards qu'on peut préparer 24 heures à l'avance, le "twice-baked spinach et gruyère soufflé", une recette délicieuse jamais trouvée en France à ma connaissance !
 Titre : L'avenir de l'économie
Sous-titre : Sortir de l'économystification
Auteur : Jean-Pierre DUPUY
Editeur : Flammarion (2012)
Lecteur : Jean-Louis RIVAIL

Les deux premières phrases campent le décor : « C’est un sentiment de honte qui m’a poussé à écrire ce livre. La honte de voir le politique se laisser humilier par l’économie, la puissance par l’intendance ».L’auteur, professeur émérite (lui aussi !) à l’X et toujours professeur à Standford se présente comme un épistémologue et
philosophe de l’économie.Dans cet ouvrage, il dénonce la place exorbitante de l’économie dans nos vies et montre que le politique doit conquérir son autonomie par rapport à celle-ci, comme il l’a fait par le passé vis-à-vis du religieux.A l’appui de cette thèse, il montre combien  l’économie est loin de cette science exacte qu’elle prétend être, en analysant les dogmes sur lesquels elle s’appuie et en pointant les erreurs de logique de certains comportement et même de d’auteurs reconnus. Enfin il en appelle aux ancêtres de référence : Montesquieu, Rousseau, Tocqueville, Hannah Arendt et beaucoup d’autres, dont la pensée sert de fondement à notre culture, pour mettre en lumière les errements du monde moderne.
C’est un livre qui donne à réfléchir, malgré quelques longueurs, et il y a incontestablement beaucoup à discuter sur un écrit qui permet de sortir des ornières du politiquement correct.
Titre : Militants pour la vie
Auteur : Ginette et Yvon TONDON
Editeur : Gérard Louis (2011)
Lecteur : Jean-Pierre MICHEL

C'est un parcours exemplaire et unique que nous donne à lire dans son ouvrage Yvon Tondon. D'abord entré dans la vie active, après son "certif" comme apprenti aux Fonderies de Pont à Mousson, l'auteur est passé directement de la condition d'ouvrier pratiquant à celle de député, à 56 ans. C'est presque incroyable aujourd'hui.
Ce sont les mémoires d'un militant mais aussi celles d'un couple. Les ingrédients sont : l'amitié, la confiance, le respect de l'autre (fut-il l'opposition) et surtout une foi chrétienne et un grand amour conjugal.
L'iconographie est très intéressante ; on y voit même un président de l'INPL... inattendu.
La préface est de Michel Rocard.
Titre : Contre la pensée unique
Auteur : Claude HAGÈGE
Editeur : Odile Jacob (2012)
Lecteur : Armand HADNI

C'est du très sérieux, cette fois, Claude Hagège, linguiste bien connu  et  Français, défend notre langue avec fougue et ce n'est pas ennuyeux même si on doit apporter quelques bémols. Le français présente moins d’ambiguïté que l'anglais qui est pourtant la langue des "aiguilleurs du ciel", et Claude Hagège rappelle l'accident fatal de l'avion des Eastern Airlines qui s'écrasa en 1972 dans les Everglades parce que le pilote recevant le message: "Turn Left, Right Now" ne comprit pas que "Right Now" voulait dire tout de suite et…il tourna à droite… il n'y eut aucun rescapé. L'anglais n'est pas une langue facile avec, par exemple 5 prononciations différentes pour ce qui s'écrit "OU" : through (au travers), rough (rugueux), slough (bourbier), slough (mue), bough (branche), four (quatre), tour (excursion).
J'en reste là pour un aperçu très rapide et j'en laisse, et des meilleures, mais ce n'est pas dire que le français est supérieur, et Hagège s'en garde bien. Nos deux littératures sont remarquables et le français est toujours lu et parlé par l'élite anglophone qui en connaît la richesse et la saveur..
On sera moins d'accord lorsqu'on lit que le repli d'un peuple peut donner "d'extraordinaires avancées". C'est au contraire une extraordinaire collaboration internationale tous azimuts observée après la dernière guerre qui a fourni tant d'avancées dans tant de domaines scientifiques ou techniques, avec la pénicilline, le transistor, les lasers, les ordinateurs, les fibres optiques, Internet, les centrales nucléaires, les débarquements multiples sur la lune, le télescope satellisé Hubble, la découverte de milliards de galaxies, la découverte et l'étude du rayonnement fossile du Big-Bang, etc.
Mais ce n'est qu'un détail d'interprétation et ce livre apparaît comme un riche et exubérant plaidoyer contre la pensée unique et la langue unique. En ce qui concerne celle-ci, les scientifiques sont malheureusement bien forcés, depuis 50 ans, d'observer que la langue anglaise s'est maintenant complètement imposée dans les conférences et les publications et qu'elle a bien facilité les relations entre collègues même européens !
On aurait préféré que ce fût la nôtre, mais les jeux sont faits pour un long moment. Il nous reste à devenir les meilleurs et à citer encore Claude Hagège: "un esprit combattif ne garantit pas le succès, mais il est nécessaire et, comme dit le proverbe chinois, les seuls combats perdus d'avance sont ceux qu'on ne livre pas" !
Titre : Physics reloaded
Auteur : Paul MAZERON
Editeur : Publibook (2011)
Lecteur : Jean-Pierre MICHEL

Le jour où le soleil s'est levé à l'ouest, la face du monde en a été bouleversée.. Comme la vie de Jules et Julie, deux universitaires français, embarqués dans de drôles d'aventures, de Lorraine (la fac des sciences de Vandœuvre) en Tanzanie, sur les traces de l'infiniment petit et de l'infiniment grand, pour percer le mystère de quelques étranges phénomènes physiques. Quand histoire d'amour et vulgarisation scientifique se rencontrent, le cocktail est étonnant... et détonnant.
L'auteur est notre collègue Paul MAZERON professeur de physique (en retraite) à la faculté des sciences de Nancy. J'ai acheté ce livre par curiosité et camaraderie. Je ne m'attendais pas à une telle qualité d'écriture et de maitrise de l'intrigue. Il est à la physique ce que  "Le Monde de Sophie" de Jostein GAARDER et "L'échelle du perroquet" de Denis GUEGI sont respectivement à la philosophie et aux mathématiques. Un roman idéal pour les vacances et /ou la retraite.
Titre : Il était sept fois la révolution
Auteur : Étienne KLEIN
Éditeur : Champs sciences Flammarion, poche (1ère publication 2005)
Lecteur : Jean-Pierre MICHEL

Certaines révolutions sont lentes et ne font pas couler de sang. Ce livre rend hommage à sept "révolutionnaires" remarquables : GAMOW, EINSTEIN, DIRAC, MAJORANA, PAULI, EHRENFEST et SCHRODINGER.
Sans aucune formule, ce livre décrit leur travail scientifique mais aussi leur personnalité avec ses qualités et ses défauts. Etienne KLEIN n'est pas toujours facile à suivre, mais ce livre se lit comme un roman. Il est accessible à tous. Il sera remboursé (JPM) à celui ou celle qui arrive à ne pas rire aux éclats au moins une fois à sa lecture.
Titre : Demain le ciel sera orange
Auteur : Sébastien HATON
Editeur : AO - Editions (2011)Lectrice : Marie-Christine HATON----------

L'auteur : fils cadet d'universitaires, lexicologue, dresseur de verbes, écrivain.
Le genre : l'éditeur dit "conte futuriste". Selon nous, on y trouve un brin de réflexion philosophique dans un monde à la charnière du post-humanisme.
"Demain le ciel sera orange", c'est la première décision prise par  Taa Taa, le héros, qui ne supporte plus "ce foutu ciel mauve tirant sur le rose poisson" décidé par un de ses prédécesseurs. En effet, il vient d'être désigné "Maître du monde" avec tous pouvoirs, mais pour cinquante jours seulement. Son intuition et sa curiosité vont le pousser à tenter de comprendre les rouages de ce monde où il se trouve plongé à la suite de l'extravagance de ses parents-chercheurs.
Disponibilité (au prix de 20 euros) : on peut s'adresser à ses parents (les vrais) qui feront l'intermédiaire, mc.haton@free.fr jph@loria.fr
Titre: Lutetia
Auteur : Pierre ASSOULINE
Editeur : Gallimard (2005)
Lectrice : Marion CREHANGE

Ce livre est un roman. Mais il est presque plus vrai que nature ! Pierre Assouline (qui vient d'être élu à l'Académie Goncourt) s'est imprégné, en profondeur factuelle et émotionnelle, de l'histoire épouvantable et merveilleuse de cet hôtel qui a joué un rôle humain majeur dans l'histoire de la 2nde guerre mondiale. Il s'est appuyé sur une solide étude documentaire et sur de nombreux témoignages directs. Puis il a habillé l'histoire de personnages réalistes mais souvent imaginaires, quelquefois réels et explicitement nommés, pour en faire un récit passionnant, extrêmement émouvant, signifiant, et éclairant. Cette "redigestion" des événements gravissimes qui ont impliqué le Lutetia permet à l'auteur de mettre en lumière l'essentiel, tout en brodant une trame de fond qui permet de raconter une histoire dense et vivante.
L'hôtel Lutetia, à Paris, à l'angle du boulevard Raspail et de la rue de Sèvres, est encore aujourd'hui un grand hôtel de prestige, avec sa magnifique façade Art nouveau. Son histoire - et celle de ses visiteurs - vaut la peine d'être lue, par exemple sur Internet. Ce livre, lui, se concentre sur la période 1938 - 1945, où chaque jour apportait son content d'événements et d'émotion. Les sous-titres sont clairs : Le monde d'avantPendant ce tempsLa vie après. La continuité est assurée par le narrateur imaginaire, Alsacien protestant, qui de fil en aiguille se trouve être attaché à l'hôtel (« à Lutetia » comme il le désigne), comme agent de sécurité et détective. Tout en tenant un fichier scrupuleux de tous les hôtes de l'hôtel, il est discret (il sait tout, voit tout, sans être vu) et le plus neutre possible, mais se trouve plusieurs fois face à la question « jusqu'où peut-on aller sans trahir sa conscience ? ».
La première partie du livre est dans l'ensemble un tableau de mœurs presque ordinaire. On y voit se dérouler la vie d'un palace, avec ses personnages hauts en société et en couleur, dont certains, malheureusement pour eux, se retrouveront dans une des autres parties du livre, romantiquement ou surtout tragiquement ; avec ses petits ou grands incidents et intrigues aussi ; avec son personnel et son microcosme. Mais apparaissent de plus en plus fréquemment des personnages spécifiques à cette période d'avant-guerre, particulièrement des exilés, espagnols et surtout allemands fuyant et refusant le nazisme qui s'affirme de plus en plus.
Puis vient la guerre ; comme nombre de grands hôtels de sa catégorie, il a été réquisitionné par les Allemands pour être le Quartier général de l'Abwehr, service de renseignement et de contre-espionnage de l'état-major. C’est « sur le fil du rasoir, entre Résistance et collaboration » (cf une très pertinente critique dans http://philippepoisson-hotmail.com.over-blog.com/article-tempete-sur-un-palace-le-lutetia-66996983.html), auxquels s'ajoute le marché noir, que s'écoule la vie de l'hôtel d'où on voit se côtoyer des personnages d'idéologies et de comportements complètement hétéroclites et souvent antagonistes. Le récit, reflétant de près la réalité, plein de suspens, malheureusement, est extrêmement haletant, émouvant, imagé et même multimédia, la musique se mêlant aux cris des torturés de la prison du Cherche-Midi, au brouhaha général et parfois aux silences inquiétants.
Mais Lutetia reste le symbole indélébile et si lourd d'émotion, après la guerre, de l'accueil des rescapés des camps de concentration rentrant en France. Sans pathos artificiel, l'horreur de la réalité suffit !, on assiste impuissants à cette course effrénée et souvent désespérée entre les déportés et ce qui reste éventuellement de leurs familles ; l'initiative venant soit des premiers soit des secondes, avec par exemple ce petit garçon solitaire qui chaque matin vient voir si par hasard son père est revenu. Heureusement, il y a des oasis de joies éperdues.
Ayant résisté aux nombreux cas de conscience et dilemmes, ayant gardé sa dignité quelquefois contestée mais solide, le narrateur s'éclipse discrètement, avec quelques trémolos d'émotion et le sentiment d'avoir été utile, modestement, à la société.
Et nous, après une lecture prenante et fluide, nous avons appris beaucoup sur les dessous de la guerre de 1939-45 et ses atrocités.
Titre : La symphonie des nombres premiers
Auteur : Marcus du SAUTO
Editeur : Points sciences (2005)
Lecteur : Jean-Pierre MICHEL

Depuis Pythagore et Euclide, une petite musique insistante empêche les mathématiciens de dormir : celle des nombres premiers et de leur étrange distribution dans la suite des nombres "normaux". Pour raconter les péripéties d’une recherche séculaire et expliquer ses enjeux, il fallait une plume capable de filer la métaphore et de camper les grands héros de l’histoire : Riemann "Wagner" des mathématiques, Hilbert, virtuose incomparable.. Un remarquable ouvrage de vulgarisation.
Aucun prérequis en maths (Umberto Eco a aimé). Ce livre se lit comme un roman policier sauf qu’à la fin, le mystère des nombres premiers reste…. entier. Les meilleurs d’entre nous pourront même démontrer la conjoncture de Goldbach : "Tout nombre impair, supérieur à 5, peut être mis sous la forme de la somme de deux nombres premiers (1 n’est pas considéré comme premier)". Avant de saisir le crayon, il serait utile de lire l’ouvrage suivant.
Titre : Oncle Petros et la conjecture de Goldbach
Auteur : Apostolos DOXIADIS
Editeur : Points (2000)
Lecteur : Jean-Pierre MICHEL

Une conjecture mathématique irrésolue depuis deux siècles, un oncle mathématicien rendu fou par la recherche de la solution, un neveu qui enquête, avec ce polar A. Doxiadis a réussi un roman parfaitement original et attachant.
Rangez le crayon, ce n’est pas pour nous.



Titre : Natura 2000 en Lorraine 
Auteurs : Le comité éditorial de cet ouvrage était composé de Serge MULLER, François et Martine SCHWAAB, Jean FRANCOIS, Yves MULLER, Marie LEMOINE, Jean-Louis MIGEON, le service Resources et Milieux Naturels de la DREAL Lorraine. 
Format : coffret de 3 volumes 23 x 30 cm, à l’italienne
Editeurs : CSRPN et  DREAL de Lorraine, (décembre 2011)
Lecteur : Jean-Louis RIVAIL


Le réseau Natura 2000 s’appuie sur deux directives européennes : la directive "Habitats-Faune-Flore" et la directive "Oiseaux". Il est constitué par un ensemble de sites naturels européens, terrestres et marins, identifiés pour la rareté ou la fragilité des espèces sauvages, animales ou végétales, et des habitats naturels qu’ils hébergent. Au début de 2011 il comportait plus de 26 000 sites dans les 27 pays de l’Union Européenne et la Lorraine hébergeait 87 sites, correspondant à 7% de la superficie de la Région.
L’imposant ouvrage qui vient d’être publié est composé de trois volumes. Il concerne d’une part les habitats naturels et les espèces, répertoriés par les deux directives européennes et représentés en Lorraine, et d’autre part les sites dans lesquels ces habitats et ces espèces ont été inventoriés.
Le premier volume est consacré aux habitats naturels. Il s’ouvre sur une intéressante présentation de la géographie de la Lorraine, en relation avec les habitats décrits dans le corps de l’ouvrage. On dénote 42 types d’habitats naturels d’intérêt communautaire représentés en Lorraine, classés par famille : les habitats d’eau stagnante et courante ; les marais salés, calcaires et acides ; les habitats rocheux et les grottes ; les formations herbacées de dunes, de pelouses et de prairies ; les landes et les fourrés arbustifs ; les forêts. Chaque habitat fait l’objet d’une courte présentation, avec la carte des sites où il a été inventorié et un renvoi aux sites désignés pour cet habitat.
Le second volume rassemble toutes les espèces relevant des deux directives et représentées en Lorraine. Elles sont classées en huit catégories : les mousses, fougères et plantes à fleurs ; les mollusques ; les insectes ; les crustacés ; les poissons ; les amphibiens ; les mammifères ; les oiseaux. Ainsi sont présentées 45 espèces de flore et de faune autre que les oiseaux et 69 espèces d’oiseaux.  Chaque espèce fait l’objet d’une fiche organisée comme celles du volume précédent, avec un renvoi aux sites désignés pour cette espèce.
Le troisième volume détaille chacun des sites, classés en cinq catégories : les grands ensembles naturels ; les milieux humides ; les forêts ; les milieux ouverts ; les gîtes à  Chiroptères. Chaque site fait l’objet d’une présentation détaillée, pouvant aller jusqu’à dix pages pour les sites les plus riches, d’une carte et renvoie à la fois aux habitats représentés dans le site et aux espèces répertoriées, avec, le cas échéant une mention spéciale pour les oiseaux.
À lire ce descriptif, on peut s’attendre à une œuvre austère, accessible aux seuls spécialistes. Il n’en est rien, bien au contraire. Elle est riche d’une extraordinaire iconographie. Chaque rubrique est illustrée de plusieurs photographies en couleurs, d’une rare qualité qui représentent au moins la moitié de la surface imprimée, et feuilleter ces volumes est déjà un plaisir des yeux. Les amoureux de la Nature, quelque soit leur niveau de spécialisation, y découvriront de nombreux aspects de notre environnement ainsi que des sites apparemment sans prétention et pourtant dignes d’un grand intérêt.
En conclusion, il s’agit d’une œuvre d’un intérêt exceptionnel, tant du point de vue scientifique qu’esthétique mais qui nourrit un immense regret : c’est une publication hors commerce qui ne sera accessible que dans des bibliothèques publiques. Les émérites qui aiment la nature y trouveront de nombreux buts de promenades.
Titre: Doubles croches
Sous-titre : Au fil des jours, au gré des rencontre
Auteur : Yves QUÉRÉ.
Editeur : Le Pommier. Série ; Impromptus (2010).
Lecteur : Gérard BECK

Relatant en courts propos très alertes toutes sortes d'événements typiques d'une vie d'enseignant et de chercheur, l'auteur fait preuve de beaucoup d'humour pour présenter des aléas et  des faits vécus comme nous en avons tous connus dans notre vie professionnelle. Il raconte aussi, dans un domaine plus privé, des anecdotes survenues en famille, en voyage, en vacances...Physicien, Yves Quéré fut Professeur et Directeur de l'enseignement à l'Ecole Polytechnique. C'est un spécialiste de la métallurgie du plutonium qui a été récemment élu Président de l'Assemblée des Académies des Sciences de par le monde.
Le ton de ce livre m'a étonné venant d'un homme d'approche plutôt austère, qui se révèle dans cet ouvrage primesautier et plein d'humour. Il donne ici et là des avis d'une grande sagesse et se livre même à quelques réflexions sur le monde et la société qui ne manquent pas de profondeur.
Titre : Madame de staël
Auteur : Michel WINOCK
Editeur : Fayard (2010)
Lecteur : Armand HADNI

Madame Germaine de Staël, née à Paris en 1766, est la fille de Jacques Necker, né à Genève, Directeur des Finances de Louis XVI , sa probité l'a rendu populaire (il a refusé toute rétribution!) et il a pu traverser la Révolution, le Directoire et l' Empire sans dommage, avec l'admiration sans bornes d'une fille extraordinaire.
De son temps même, Mme de Stael avait mauvaise réputation. Un mari, 15 amants, 5 enfants et elle veut penser et écrire comme un homme. Elle n'avait ni la grâce, ni l'élégance de son amie Mme Récamier, et pourtant elle attire, elle charme, elle retient les plus déterminés à la quitter. Sa principale activité est la conversation, un art typiquement français , avec des gens qui ne pensent pas tous la même chose ,mais qui s'écoutent mutuellement.  
Je recommande la lecture aux curieux du Siècle des Lumières.
Titre : Les savants fous
Sous-titre : D'Archimède à nos jours, une histoire délirante des sciences
Auteur : Laurent LEMIRE
Editeur : Robert Laffont (2011)
Lecteur : Christian G'SELL

L'auteur passe en revue, par ordre chronologique, quelques figures les plus originales de la science. Originaux ils l'étaient parfois, ces savants, au point de se complaire dans des monomanies ou des psychoses. Entre la réalité et l'image qu'en a donné la littérature et le cinéma, il faut bien sûr trouver un moyen terme. Et pourtant, les faits sont là. Jugeons-en plutôt.
Newton, le grand Newton (1642 - 1727), membre de la société des alchimistes anglais, pousse ses investigations scientifiques jusqu'à avaler toutes sortes de produits, y compris du mercure. Mais c'est dans les mathématiques et l'astronomie qu'il excelle, souvent solitaire jusqu'à faire cours devant des amphis vides. Il brise l'alliance entre la philosophie et les sciences en plaçant l'expérience au cœur du débat. Après l'incendie de ses papiers en 1693, il devient torturé, dépressif, voire paranoïaque. Pourtant il ne manquait pas d'humour, jusqu'à inventer la fameuse histoire de la pomme tombant de l'arbre pour se débarrasser d'un admirateur importun…
Que dire du célèbre (trop célèbre) Michel Chasles (1793-1880), géomètre réputé à l'Académie des Sciences de Paris, collectionneur passionné de textes scientifiques autographes, pour la possession desquel il a englouti des sommes folles. Tellement passionné qu'il en vint à en inventer, avec l'aide d'un faussaire originaire, comme lui, d'Eure-et-Loire. L'avantage de produire des faux, c'est qu'on peut réécrire l'histoire des sciences selon ses désirs. C'est ainsi qu'il "prouve", documents à l'appui, que Pascal aurait trouvé les lois de la gravitations avant Newton, sans se rendre compte que les formules et les mesures qu'il prête à Pascal  n'avaient pas encore été découvertes à l'époque où il les rapporte… La supercherie de Chasles soulèvera un tollé national qui enterrera le géomètre dans un opprobre qui entache encore de nos jours son souvenir, tandis que son faussaire appointé se retrouvait en prison au terme d'un procès édifiant.
Il faut découvrir dans ce livre toute une collection de savants "fous", abusés par leur imagination ou leur monomanies, rarement malhonnêtes, mais souvent atteints d'une réelle maladie mentale. Aucune des disciplines de la science n'échappe à cette malédiction : physiciens, chimistes, médecins, mathématiciens, ingénieurs, etc. Comme quoi la science est la plus belle chose du monde, mais qu'il faut s'en méfier.
Un savant "bien de chez nous" ni escroc, ni fou, se laissa toutefois dériver dans un monde imaginaire d'autosuggestion qui lui causa bien des misères après une (courte) période de gloire. Il s'agit de René Prosper Blondlot (1849-1930), doyen de la faculté de physique de Nancy, qui était passionné par tous ces rayons invisibles que la science mettait en évidence d'année en année à cette époque florissante de la physique expérimentale. Travaillant initialement sur les Rayons X, il "découvre" en 1903  une nouvelle espèce de lumière qu'il baptise "Rayons N" en référence à sa bonne ville de Nancy (dont la gloire de l'époque s'appuyait non seulement sur les créations artistiques de l'Art Nouveau, mais aussi les démarches innovantes de la médecine psychiatrique). Tous les laboratoires du monde veulent en savoir plus, mais Blondlot entoure ses découvertes d'un certain mystère, exceptées des communications à l'Académie des Sciences, qui lui décerne un prix. Jusqu'au jour où le physicien américain William Wood (inventeur de la "lumière noire") vient rendre visite à Blondlot pour constater de visu la nature de ces rayons mystérieux.  L'américain ne voit rien et, tandis que Blondlot continue à décrire avec passion les effets lumineux sensés se projeter sur l'écran du laboratoire de la rue de la Craffe, même après que Wood ait ôté subrepticement le prisme d'aluminium qui était sensé participer à la production des fameux rayons. Il faudra encore des années pour que la "supercherie" soit reconnue car Blondlot, s'enferrant dans son aveuglement scientifique, continuait à publier des notes à l'Académie des Sciences et obtenait même le soutien moral de savants reconnus comme Marcelin Berthelot. Et comme conclue l'auteur sur cette épisode : "Les rayons X étaient allemands, il fallait bien que les Français eussent aussi leurs propres rayons. Et qui plus est, un rayon découvert en Lorraine…"
Le livre de Laurent Lemire, journaliste au Nouvel Observateur et à Livres Hebdo, est d'une lecture passionnante. Son style simple est agréable. Pour nous autres scientifiques, c'est une ouverture sur un monde original qui nous rassurera d'avoir atteint la retraite sans avoir été victimes des syndromes manifestés par certains de nos illustres prédécesseurs !
Titre : Les sortilèges de l'opéra
Sous titre : Petit aparté sur l'art lyrique
Auteur : Julie BOCH
Editeur : Transboréal (2011)
Collection : Petite philosophie du voyage.
Lecteur : Gérard BECK

Ce petit ouvrage révèle chez son auteur une passion pour l'art lyrique qui lui fait exalter la m:agie de l'opéra. Elle présente la quête qui conduit l'amateur à courir de salle en salle de par le monde. Royaume de l'illusion et miroir de la vie, l'art lyrique marie la musique et le théâtre. Il fait éprouver, au gré des modulations de la voix humaine, la variété des émotions universelles.
La fréquentation d'opéras de nombreux pays l'a conduite à comparer le comportement de ces institutions et de leur public d'une façon tout à fait savoureuse et pertinente.
Entre l'opéra de Chicago, qui reflète la démesure de l'art déco américain et celui de Londres, typique de l'esprit de l'ère industrielle anglaise, l'opéra de Nancy a évoqué pour elle la France des Lumières. Lire ce petit livre incite au moins autant au voyage que bien des guides touristiques. 
Universitaire, Julie Boch était Professeur de lettres à l' Université de Reims. Au cours d'une longue randonnée pédestre en totale autonomie dans la région très sauvage de l'altaï russe elle a été victime le 13 juillet 2011, à 42 ans, d'un accident aussi fatal que mystérieux.
Elle termine son ouvrage avec deux vers prémonitoires de La flûte enchantée :
"Grâce au pouvoir de la musique, nous avançons joyeux à travers la sombre nuit de la mort".
SOMMAIRE (classé par ordre inverse de réception)

- "Fragments de l'amour" d'Yvon QUINIOU. Lu par Marc-Mathieu MÜNCH
- "La fabrique du monstre" de Philippe PUJOL. Lu par Monique GRANDBASTIEN
- "Le pari de Madame Einstein" de Claire WAGNER-RÉMI. Lu par Simone GILGENKRANTZ
- "Journal d'Irlande" de Benoîte GROULT. Lu par Gérard BECK.
- "Travellers in the third Reich" de Juilia BOYD. Lu par Jean-Claude GACHON
- "Et moi, je vis toujours" de Jean d'ORMESSON. Lu par Christian G'SELL
- "Du Württemberg au Bois-le-Prêtre" de Jean-Pierre DRULANG-MACK. Lu par Jean-Claude GACHON
- "La guerre des métaux rares..." de Guillaume PITRON (2018). Lu par Jean BRUN-BELLUT
- "Le charme discret de l'intestin" de Giulia ENDERS (2017). Lu par François MATH
- "La vie secrète des arbres" de Peter WOHLLEBEN (2017). Lu par Jean-Claude GACHON
- "Homo deus" de Yuval Noah HARARI (2017). Lu par Jean BRUN-BELLUT
- "Les enseignants de la Faculté des sciences..." de Laurent ROLLET (2016). Lu par François MATH
- "La sonate oubliée" de Christiana MOREAU (2017). Lu par François MATH
- "Le rayon N" de Charles ANCE (2017). Lu par Jean-Pierre MICHEL
- "Le guérisseur s'en va en guerre" de François MATH (2017). Lu par Christian G'SELL
- "Les Professeurs de Médecine de Nancy" de Bernard LEGRAS (2014). Lu par Christian G'SELL
- "La Fille du train" de Paula HAWKINS (2015). Lu par Michèle KESSLER
- "Sapiens" de Yuval NOAH HARARI (2015). Lu par Jean BRUN-BELLUT
- "Quand le monde s'est fait nombre" d'Olivier REY (2016). Lu par Gérard BECK
- "The Cartel" de Don WINSLOW (2015). Lu par Jean-Claude GACHON
- "1914-1918" de Jean-Yves LE NAOUR (2012-2016). Lu par Jean BRUN-BELLUT
- "L'équation de Kolmogoroff" de Marc PETIT (2005). Lu par Jean-Pierre MICHEL
- "L'impossible dialogue" d'Yves GINGRAS (2016). Lu par Jean-Pierre MICHEL
- "Le roman d'un guérisseur" de François MATH (2016). Lu par Christian G'SELL
- "Eats shoots and leaves" de Lynne TRUSS. Lu par Jean-Claude GACHON
- "Le monde est clos et le désir infini" de Daniel COHEN. Lu par Christian G'SELL
- "Carnets de thèse" de Tiphaine RIVIÈRE. Lu par Jean-Pierre MICHEL
- "Des mots sur des maux", recueil collectif de poèmes. Lu par Daniel TONDEUR
- "Livre blanc de la recherche mécanique" présenté par Michel LEBOUCHÉ. Lu par Gérard BECK
- "Comprendre la violence des enfants" de François MATH et al. Lu par Christian G'SELL
- "Le rêve d'Euclide" de Maurice MARGENSTERN. Lu par René SCHOTT
- "An officer and a spy" de Robert HARRIS. Lu par Jean-Claude GACHON
- "All Hell let loose" de Max HASTINGS. Lu par Jean-Claude GACHON
- "Bergdorf blondes" de Plam SYKES. Lu par Jean-Claude GACHON
- "En pleine figure" de Dominique CHIPOT. Lu par Jean-Pierre MICHEL
- "La juive et le bolchevik" de François MATH. Lu par Christian G'SELL
- "Dictionnaire amoureux de la Science" de Claude ALLÈGRE. Lu par Armand HADNI
- "Alterscience : Postures, dogmes, idéologies" d'Aleandre MOATTI. Lu par Daniel TONDEUR
- "Une brève histoire de l'avenir" de Jacques ATTALI. Lu par Christian G'SELL
- "La grande bifurcation" de Gérard DUMÉNIL et Dominique LÉVY. Lu par Daniel TONDEUR
- "Flaubert" de Michel WINNOCK. Lu par Armand HADNI
- "Mission insertion" de José ROSE. Lu par René HODOT
- "La mystique de la croissance" de Dominique MÉDA. Lu par Daniel TONDEUR
- "Devinaigrette" de Alain CRÉHANGE. Lu par Christian G'SELL
- "L'Atlantide" de Pierre VIDAL-NAQUET, Lu par Monique BILE. 
- "Le passé recomposé" de Jean-Pierre ADAM. Lu par Jean-Claude GACHON
- "Différentes saisons" de Stephen KING. Lu par Jean-Claude GACHON
- "La longue traque" de Gilles PERRAULT. Lu par Jean-Claude GACHON
- "Histoire de la Résistance" de Olivier WIEVIORKA. Lu par Jean-Claude GACHON
- "Guérisseurs et médecines non-conventionnelles" de François MATH. Lu par Christian G'SELL
- "Higgs, le boson manquant" de Sean CARROLL. Lu par Jean-Louis RIVAIL
- "Essai sur la laïcité post-chrétienne" de Gérard FATH. Lu par René HODOT
- "Le théâtre quantique" de Alain CONNES et al. Lu par Jean-Pierre MICHEL
- "Le théorème vivant" de Cédric VILLANI. Lu par Jean-Pierre MICHEL
- "La déesse des petites victoires" de Yannick GRANNECK. Lu par Gérard BECK
- "Le mystère français" de Hervé LE BRAS et Emmanuel TODD. Lu par Armand GUCKERT
- "La fascination du Japon" de Philippe PELLETIER. Lu par Armand HADNI
- "Refus de témoigner" de Ruth KLÜGER. Lu par Jean-Pierre MICHEL
- "Le Détroit : l'occident barricadé" de Mustpha NADI. Lu par Jean-Paul HATON
- "Le second souffle" de Philippe POZZO DI BORGO. Lu par Jean-Claude GACHON
- "La croix de Lorraine" de François LE TACON. Lu par Gérard BECK
- "La Tour" de Uwe TELLKAMP. Lu par Jean-Pierre MICHEL
- "La France et le Royaume-Uni, des ennemis intimes" de R. et I. TOMBS. Lu par Armand HADNI
- "L'avenir de l'économie", de Jean-Pierre DUPUY. Lu par Jean-Louis RIVAIL
- "Militants pour la vie", de Ginette et Yvon TONDON. Lu par Jean-Pierre MICHEL
- "Contre la pensée unique", de Claude HAGÈGE. Lu par Armand HADNI
- "Physics reloaded", de Paul MAZERON. Lu par Jean-Pierre MICHEL
- "Il était 7 fois la révolution", de Etienne KLEIN. Lu par Jean-Pierre MICHEL
- "Demain le ciel sera orange", de Sébastien HATON. Lu par Marie-Christine HATON
- "Lutetia", de Pierre ASSOULINE. Lu par Marion CRÉHANGE
- "La symphonie des nombres premiers", de Marcus du SAUTOY. Lu par Jean-Pierre MICHEL
- "Oncle Petros et la conjecture de Goldbach", d'Apostolos DOXIADIS. Lu par Jean-Pierre MICHEL
- "Natura 2000", d'un Collectif régional de Lorraine. Lu par Jean-Louis RIVAIL
- "Doubles croches", d'Yves QUÉRÉ (2010). Lu par Gérard BECK
- "Madame de Staël", de Michel WINOCK (2010). Lu par Armand HADNI
- "Les savants fous", de Laurent LEMIRE (2011). Lu par Christian G'SELL
- "Les sortilèges de l'opéra", de Julie BOCH (2011). Lu par Gérard BECK